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Apocalypse :
Révélation de Jésus-Christ

Michel Jondot

La suite des siècles nous livre une diversité de lectures de l’Apocalypse. Ceci doit nous protéger d’une illusion ; nous ne posséderons jamais la connaissance définitive de ce que contiennent les Ecritures. Du moins, en prêtant l’oreille aux textes de la Révélation, nous faisons acte de foi : nous sommes à l’écoute d’un Dieu qui nous appelle et nous tentons d’y apporter notre réponse originale.

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I- Comment lire l'Apocalypse ?


II- L'Apocalypse : une histoire


III- Au coeur de l'Apocalypse :

Le problème du sens



I- Comment lire l'Apocalypse


Une vérité cachée

Le livre de l’Apocalypse est « Révélation ». Il lève le voile sur une vérité cachée que la lecture devrait faire apparaître.

Comment lire pour trouver cette vérité ?

Ce livre a déjà été abondamment scruté au fil des siècles mais ce qu’il manifeste diffère d’une époque à une autre comme d’un lecteur à l’autre. Ne prenons qu’un seul exemple à partir d’un texte que Lurçat a rendu fameux, même au public non chrétien : « Un signe grandiose apparut au ciel : une Femme ! Le soleil l’enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête ; elle est enceinte et crie dans les douleurs et le travail de l’enfantement. Puis un second signe apparut au ciel : un énorme dragon... s’apprête à dévorer son enfant aussitôt né... Or, la femme mit au monde un enfant mâle... et son enfant fut enlevé jusqu’auprès de Dieu et de son trône » (12,1-3).

Traditionnellement, les premiers Pères de l’Eglise voyaient une mise en scène de la nativité : cette femme est Marie et son enfant est le Christ. La liturgie garde cette interprétation puisqu’elle fait entendre le texte lors des célébrations eucharistiques des fêtes mariales.

A la charnière des 4èmes et 5ème siècles, dans les homélies qu’il prononçait devant le peuple chrétien qui lui était confié, Augustin explique qu’en vérité cette femme est l’Eglise. « Sous ses pieds » se trouvent ceux qui, dans l’Eglise, ne méritent que mépris, « les hypocrites et les mauvais chrétiens ». Les douze étoiles désignent les douze apôtres ; le dragon n’est autre que le démon, figure des rois et des royaumes humains ; il tente de dévorer ce que l’Eglise enfante (1).

Un siècle plus tard, l’évêque d’Arles, Césaire, fait une lecture semblable mais en des termes qui reprennent ceux d’Augustin comme si le texte de l’évêque d’Hippone faisait plus autorité que le livre biblique.

Si l’on passe des origines du christianisme à l’époque actuelle, la vérité révélée change de visage. Un exégète réputé de Lyon, François Martin, se refuse à identifier la femme et l’enfant : Eglise ou Marie, Christ ou non. La scène se passerait dans un hors-temps primordial, hors de l’histoire. La progéniture menacée par le Dragon, serait sauvée ; ainsi serait assurée la possibilité d’une histoire humaine se déployant dans le temps (2).

On peut faire allusion également à la lecture de Jean Delorme et Isabelle Donegani, deux exégètes auteurs d’un livre récent (3). Les auteurs soulignent que nuit et jour se confondent. Etoiles et lune, astres nocturnes rencontrent l’astre du jour, le soleil : « L’alternance du jour et de la nuit qui rythme le temps est suspendue ». Ce fils emporté près de Dieu fait apparaître que la vie est doublement donnée et reçue, « d’une part de la Femme comme de sa source, d’autre part de Dieu comme d’un aimant qui l’arrache au danger représenté par le Dragon et l’attire là où la mort n’a pas de prise ».

Où est la vérité révélée par le livre ? Est-elle dans les commentaires qu’il suscite et qui sont repris d’un évêque à un autre. L’alignement de Césaire, l’évêque d’Arles, sur le discours d’Augustin, l’évêque d’Hippone est-il l’expression de la réalité du discours ? Même si la théologie accorde une grande importance à la tradition patristique, Il est difficile de le penser sans nuances. Ce serait, d’ailleurs, faire fi de l’autorité du texte de l’Apocalypse qui ne mériterait plus d’être lu ; un commentaire humain peut-il se substituer à la Parole de Dieu ?

Sans doute faudra-t-il revenir sur cette question de la vérité.

Se préserver de l'imagination

Une autre plus urgente pour nous s’impose. Y a-t-il une façon d’entrer dans le texte qui nous permette de le respecter et de ne pas confondre la vérité que le texte transmet avec ce que produit notre imagination ?

Notre façon de lire essaie de répondre à cette question.

Remarquons que ce rapport entre les mots que nous lisons et la vérité que nous cherchons a fait l’objet de réflexions que la modernité n’a sans doute pas fini de creuser. L’ordre d’un discours, qu’il soit théologique, médical, grammatical, scientifique ou autre, cache « les conditions de sa possibilité ». Michel Foucault (4) montre trois périodes à l’intérieur desquelles il prétend déceler ces conditions inconscientes et communes à tous les domaines composant une culture particulière.

Jusqu’à la Renaissance le monde était comme un texte à déchiffrer ; la ressemblance d’une plante avec telle ou telle partie du corps était la marque de ses vertus thérapeutiques qu’il convenait de décrypter. Les graines de l’aconit, par exemple, sont recouvertes d’une membrane ressemblant à une paupière. C’est la marque qu’elle peut soigner les yeux. Les mots d’un texte fonctionnaient de la même façon. Ainsi la mise au monde d’un enfant par une femme ressemble à la nativité de Bethléem. Cette similitude permet les interprétations patristiques qu’on a signalées.

Connaître, à l’âge classique est une autre affaire. Le rapport entre les mots et les choses qu’ils disent prend place dans un système de nomination fondé sur le verbe « être ». Les noms sont l’être des choses et connaître revient à nommer. « La Grammaire de Port-Royal » illustre ce phénomène culturel. Pour faire entendre la vérité, grâce à la grammaire, « les mots pour la dire arrivent aisément » (Boileau).

Aujourd’hui le terme « structure » désigne un univers culturel encore nouveau. Le mot désigne un ensemble cohérent de relations entre des éléments différents. Le sens surgit de leur mise en rapport. Ainsi, je ne peux comprendre la signification du mot « mère » qu’en saisissant la différence entre les consonnes « p » et « m » ; une « mèr  » est l’autre du « père ». Ce qui est tout autre chose que d’appréhender leur être. Cette manière de saisir des rapports s’avère « la condition de possibilité » des sciences humaines. Elle écarte la conviction classique selon laquelle les mots, dans un texte, disent une réalité cachée que le discours d’un savant viendrait mettre au jour. Ce faisant elle sauve un texte puisqu’elle le préserve du commentaire qui le double et l’écarte.

Certes, l’Apocalypse est un texte déconcertant. A première lecture ses éléments sont sans rapport les uns avec les autres. Est-il possible de déceler les relations qui en permettent le fonctionnement ? Nous tenterons bientôt l’aventure !

Michel Jondot
Tapisserie de Jean Lurçat

1- « In Apocalypsim B.Joannis » -PEV. Tome 11 – Homélie IX; p. 525 / Retour au texte
2- « L’Apocalypse », François Martin ; CADIR 2004 / Retour au texte
3- « L’Apocalypse de Jean » - Révélation pour le temps de la violence et du désir » - J.Delorme & I.Donegani, 2010 / Retour au texte
4- « Les mots et les choses » Gallimard 1966 / Retour au texte

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