Page d'accueil Nouveautés Sommaire Auteurs
Retour à " L'Eglise vue par l'équipe animatrice " Contact - Inscription à la newsletter - Rechercher dans le site
Retour à a page d'accueil : En hommage à Michel Jondot

Célébration pour le départ de Michel Jondot

Accueil et liturgie de la Parole

- Accueil
par l'équipe animatrice de Dieu Maintenant

- Lecture du livre de la Sagesse 7, 1...16
choisie par l'équipe animatrice

- Lecture de l'Evangile selon St Matthieu 6,1...18
choisie par Michel

- Homélie par Christine Fontaine
demandée par Michel


Dernier adieu

- Témoignage de Mohammed Benali
Cofondateur de la Maison Islamo Chrétienne,demandé par Michel
- Témoignage de Patrice Leclerc,
Maire de Gennevilliers, demandé par Michel
- Texte de Michel "Mon Eglise, cette vieille qui fait pitié"
choisi par l'équipe animatrice

Témoignages

Guy Lafon
L'Eglise se fait conversation


Christine Fontaine
Michel, mon frère et le nôtre


Iyad et Claire Hallaq
Notre mariage


Jacques Bruneau
Des visages d'Eglise dont nous rêvions


François Matthey
Lucky Michel,
l'homme qui aime deux fois plus vite que son âme


Michel, mon frère et le nôtre
Christine Fontaine

Michel Jondot et Christine Fontaine : un homme et une femme, un prêtre et une laïque réunis dans un même service et un même amour de l’Église, sans aucune supériorité de l’un sur l’autre ni confusion des fonctions. Cette relation ne pourrait-elle en préfigurer une autre : celle qui pourrait unir le peuple des baptisés à la hiérarchie ?

(5) Commentaires et débats

Une place à inventer

Fin octobre 1974, j’arrive à la Paroisse Sainte Bathilde de Chatenay-Malabry. J’y suis envoyée par Monseigneur Delarue, évêque ne Nanterre. Je venais d’achever des études de philosophie – j’étais étudiante à la Sorbonne en mai 1968 - et un cycle de théologie à l’institut catholique de Paris, où quelques laïcs comme moi suivaient les mêmes cours que les séminaristes des Carmes. Période d’ébullition dans la société comme dans l’Église ! A la catho, les paroisses n’avaient pas bonne presse et rares étaient les séminaristes souhaitant s’y engager. On parlait de communautés de base un peu à la manière de celles qui avaient fait leurs preuves en Amérique latine. Les cours étaient dispensés par des théologiens qui n’avaient pas peur d’aborder les questions contemporaines non seulement pour nous dispenser l’enseignement officiel de la hiérarchie mais pour ouvrir les étudiants aux grands débats qui agitaient la société tels que la loi sur l’Interruption Volontaire de Grossesse. Laïque et heureuse de l’être, je souhaitais également que ma vie soit totalement au service de l’Église. Il n’y avait pour moi aucunement contradiction dans les termes. J’avais acquis une compétence qui me rendait apte à ce service. Mais la paroisse représentait pour moi une sorte d’ancien monde un peu sclérosé. Aussi quand Monseigneur Delarue proposa de m’envoyer en paroisse, je n’avais rien à perdre si cette invitation n’eût pas abouti.

C’est dans cet état d’esprit que je me présentai à Michel Jondot, responsable de la paroisse depuis début septembre de la même année. J’y venais pour « remplacer » un prêtre qui, pour des motifs personnels, avait dû partir brutalement peu après la rentrée scolaire. Je ne connaissais pas du tout Michel mais je préférais jouer avec lui franc jeu. D’emblée, je lui déclarai : « Si, sous prétexte que je suis une femme, vous pensez que je vais vous faire la cuisine ou la vaisselle, inutile d’aller plus loin, vous vous trompez de personne. Si, sous prétexte que je suis laïc, vous comptez vous décharger sur moi de ce que vous n’avez pas envie de faire, là encore je ne suis pas celle qu’il vous faut. » J’ignorais alors que cette manière de me situer ne pouvait que séduire Michel. La place que j’allais occuper dans cette paroisse n’était pas tracée d’avance. Il allait falloir l’inventer en fonction d’une part de l’expérience de Michel, d’autre part de mes compétences. A cause de celles-ci, il me demanda si j’accepterais de prêcher et je lui répondis : « Pourquoi pas… » C’est ainsi que je fus perçue comme celle qui prêchait en alternance avec le prêtre et ce pendant 12 ans. À cette époque, au moins une autre femme laïque comme moi, Françoise Destang, le faisait régulièrement à Saint Jacques du Haut Pas, à Paris. Monseigneur Delarue, bien loin d’y trouver à redire, cautionna cette fonction en affirmant publiquement que j’étais plus compétente que la plupart des prêtres et qu’il n’y avait donc aucune raison de me l’interdire. A cette époque, le nouveau Code de Droit Canon n’avait pas encore été publié et une grande liberté était laissée aux évêques.

Une fraternité entre prêtre et laïcs

C’est par la place que Michel me fit dans la liturgie que je fus d’abord perçue par l’ensemble des paroissiens. Certains s’en réjouissaient, d’autres en étaient scandalisés. Il fallut traverser une année de désert pendant laquelle Michel ne revint jamais sur sa décision. Au terme de cette année, la communauté s’était reconstituée autour d’anciens et de nouveaux qui pour les uns se réjouissaient, pour d’autres (bien moins nombreux) se résignaient à cette nouvelle place dans l’Église d’une femme qui plus est « pas même religieuse ». Cependant la collaboration avec Michel ne s’arrêtait pas à la liturgie. Si nous nous partagions les activités habituelles d’une paroisse en particulier dans la catéchèse, nous réfléchissions surtout ensemble aux grandes orientations à donner à la communauté en fonction des personnes qui la constituaient. Nous n’essayions pas de reproduire un modèle, sans pour autant avoir la volonté de briser inutilement des points de repère. Notre souci commun était d’écouter les questions des chrétiens sur l’Église, la société ou l’éthique et de permettre que des débats s’instaurent entre croyants ayant des points de vue ou des orientations politiques différents. L’un comme l’autre, nous reconnaissions le travail du Dieu de Jésus-Christ dans ces échanges. Nous n’occultions pas les vraies questions que des croyants, immergés dans la société contemporaine, se posent par rapport à la politique, à l’immigration, à la morale familiale, etc.

C’est cette collaboration entre Michel et moi au service d’une communauté particulière qui nous a rendus profondément et totalement frère et sœur, dans une fraternité qui ne s’est jamais démentie. Entre nous nulle rivalité : en ce qui concernait les sacrements les fonctions étaient différentes et s’harmonisaient. Au point que très vite, les chrétiens ont lié nos deux noms en disant « Michel et Christine » pour parler de la commune responsabilité qu’ils nous reconnaissaient.

Je crois pouvoir dire que cette fraternité entre un prêtre et une laïque, un homme et une femme, fut le point de départ d’une communauté réellement fraternelle dans laquelle n’était pas envisageable une quelconque supériorité du prêtre sur les laïcs. Une communauté où le pouvoir et les responsabilités se partageaient entre le plus grand nombre en fonction des compétences de chacun. Cette communauté paroissiale n’était pas élitiste : les enfants du catéchisme, leurs parents, les jeunes aussi éloignés de l’Église étaient-ils, s’y sentaient reconnus. Les seuls conflits que nous avons eus pendant toute cette période sont avec ceux qui refusaient le principe d’une réelle collaboration – à égalité - entre prêtre et laïcs. Nous souhaitions que ceux-là – peu nombreux – trouvent un autre style de vie paroissiale qui leur conviendrait mieux. A cette époque, il est vrai, il était permis aux paroisses de ne pas être toutes forgées selon le même modèle tant pour la liturgie que pour les grandes orientations ou la vie quotidienne. A cette époque encore, les absolutions collectives avaient supplanté la confession privée pour la plupart des catholiques. A Sainte Bathilde, deux fois par an, l’Église était pleine pour recevoir ce sacrement. Si le prêtre donnait l’absolution, l’examen de conscience était chaque fois préparé avec des laïcs et ajusté aux situations de péché – c’est-à-dire de blocage - des croyants dans leur vie personnelle comme dans leur insertion dans la société. Ces célébrations répondaient à un réel désir des baptisés. Ainsi, sans que soit nié le rôle du prêtre dans l’eucharistie ou dans le sacrement de réconciliation, il n’occultait pas d’autres fonctions où la place des laïcs était réelle et nécessaire.

Le partage du pouvoir

1984. Le contrat des responsables de paroisse était de 6 ans renouvelable une fois. Michel l’était à Sainte Bathilde encore pour deux ans. Monseigneur Delarue était mort. L’évêque venait de changer… et le nouveau code de Droit Canon commence à se diffuser largement. L’esprit de liberté du Concile Vatican II devient alors un code qui règle – pour le meilleur et pour le pire – toutes les conduites, en particulier le rôle du prêtre et celui des laïcs. La liturgie, par le Pape Jean-Paul II, est extrêmement réglementée et les absolutions collectives interdites. On préférera ordonner des diacres pour assurer la prédication plutôt que de la confier à des laïcs. J’ai alors 12 années de formation théologique derrière moi et j’assure depuis 10 ans la prédication aux cinq messes dominicales. Mon rôle n’est contesté par personne dans la paroisse mais il n’entre pas dans les règles du nouveau Code de Droit Canon. L’évêque invite Michel pour un entretien et, sans m’avoir jamais rencontrée ni connaître la paroisse, lui dit : « Rassurez-vous, Père Jondot, des personnes comme Christine, il n’y en aura plus jamais dans mon diocèse. » Michel rentre en me recommandant de partir tout de suite puisque je n’ai plus d’avenir dans l’Église au moins dans un rôle de coresponsabilité réelle. Je lui propose de rester quand même puisque je suis protégée jusqu’à la fin de son propre contrat. L’évêque n’osera pas revenir sur la décision de son prédécesseur avant un changement de curé. Si je suis en ligne de mire, il ne s’agit pas seulement de moi mais de la place des laïcs dans l’Église, en l’occurrence dans cette paroisse. Nous décidons de consacrer les deux années à venir pour approfondir la réflexion avec les laïcs qui exerçaient déjà des responsabilités réelles. Nous allons tenter de convaincre l’évêque qu’un autre partage du pouvoir est possible et souhaitable au moins à Sainte Bathilde.

Avec une cinquantaine de chrétiens, nous nous mettons au travail. Nous proposons la structuration des responsabilités entre prêtre et laïcs qui étaient déjà bien rôdée chez nous avec trois groupes de concertation : l’un s’attelant aux « questions d’aujourd’hui » (éthique), l’autre sur l’« Ouverture au monde » (immigration, questions politiques, etc.), le dernier groupe « Église » prenant des décisions avec Michel et moi sur le fonctionnement interne de la paroisse et travaillant avec les équipes en place dans chaque secteur. Par ailleurs, nous avions trouvé un prêtre, spiritain, habitué au travail avec des laïcs et qui ne serait pas à temps plein à la paroisse ; cette aventure le passionnait. Un « ancien » issu de la communauté serait responsable de l’ensemble. Il fallait également un permanent, ayant des compétences théologiques et pastorales, pour assurer le suivi des décisions, la vie normale de la paroisse et partager la prédication avec le prêtre. Je proposais d’occuper cette fonction, pendant les deux années suivant le départ de Michel, et de trouver un remplaçant ou une remplaçante pour la suite. Dans cette configuration, le prêtre avait sa place mais il acceptait un partage des responsabilités. Pour élaborer ce projet nous travaillions depuis le début avec un théologien reconnu, Joseph Moingt, qui venait au moins une fois par mois partager la vie de la paroisse. Nous avons proposé ce plan à l’évêque en précisant que nous nous engagions à travailler avec lui pour l’ajuster. Tout fut refusé en bloc. L’incompréhension de la paroisse fut totale.

Libre et fidèle

Michel s’est retrouvé sans nomination pendant un an. Au bout de cette année, l’évêque lui confia le premier poste créé en France de délégué diocésain pour les relations avec l’islam. D’habitude ces nominations s’accompagnent d’une autre charge comme celle de curé. Il n’en fut rien pour lui. Quand Michel demanda à l’être à nouveau il lui fut répondu qu’il n’avait pas la grâce pour être curé… bien qu’il le fût pendant 12 ans. Depuis cette époque Michel de son côté et moi du mien, nous avons continué à vouloir être au service de l’Église. Nous avons appris à vivre sur les marges sans attendre une quelconque reconnaissante de l’institution. Entre nous la fraternité a été plus forte que tout. Je l’ai rejoint dans l’islam et il m’a rejoint dans « Dieu maintenant ». La fraternité que nous avions vécue avec les baptisés à Sainte Bathilde n’a jamais cessé et nous avons eu la joie de découvrir de nouvelles relations fraternelles tout au long de notre existence. L’institution ecclésiale a voulu séparer le prêtre des laïcs, l’homme de la femme même lorsque seule la fraternité les unissait dans un commun service d’Église. Mais nous en témoignons la fraternité vécue au nom de Jésus-Christ est plus forte que tout, elle est même plus forte que la mort puisque par-delà son départ, Michel me demeure mystérieusement présent.

Lorsque Michel connut sa mort prochaine, il fit quelques directives pour la célébration de son départ et me demanda d’y prêcher. Il savait aussi bien que moi que cela m’était interdit (comme à tous les laïcs) depuis des dizaines d’années. Michel était un obstiné, profondément libre par rapport à la hiérarchie et tout autant soumis - l’un et l’autre allant toujours de pair pour lui. Je lui dis que je n’avais nulle envie de célébrer son départ par un conflit ouvert avec la hiérarchie. Mais il n’en était pas question pour lui. Michel me dicta une lettre pour le nouvel évêque de Nanterre où il demandait la permission que je prêche. Je lui dis : « Es-tu prêt à pardonner si cela n’est pas accordé ? » Il m’affirma que oui et que c’était une raison supplémentaire pour le demander nettement et fermement. Michel ne lâche jamais… et l’histoire lui a donné raison puisque le nouvel évêque de Nanterre, Monseigneur Rougé, lui accorda cette permission. Qui plus est, il voulut présider lui-même la célébration ! Nous devons aussi à Monseigneur Rougé d’avoir laissé notre équipe de laïcs totalement libre de monter cette célébration eucharistique sans être assujetti à des directives du clergé. Nous lui devons encore de s’être coulé dans cette célébration avec bienveillance et grande fraternité. Qu’il en soit remercié lui qui a permis à celle d’entre nous qui coordonnait cette liturgie de s’écrier : « Enfin ! J’étais au bord de quitter cette institution ! Je ne croyais plus qu’il fût possible que la hiérarchie fasse toute confiance aux laïcs ! Même si cela ne se produit qu’une fois et n’a pas de lendemain, il y aura eu cette fois-là ! Merci à toi Michel d’avoir été libre et fidèle jusqu’au bout et de nous avoir permis de croire encore qu’une Église basée sur la fraternité, la confiance mutuelle et sans supériorité des uns sur les autres est possible ! »

Christine Fontaine
Icône de Soeur Marie-Boniface