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Déconfiner les cultes en plein milieu du ramadan ?
Nicodème

Les évêques de France ont demandé que le déconfinement dans les églises soit effectif le 11 mai. Nous savons qu'il n'aura pas lieu à cette date. Y avait-il urgence, comme le disent les évêques, à opérer ce déconfinement ? Des membres de l’équipe animatrice de Dieu maintenant se situent. Pour eux, la question posée par cette démarche des évêques est ailleurs.

(6) Commentaires et débats

La religion catholique, toujours religion d'Etat ?

« Les évêques de France redisent combien il leur semble essentiel que la vie ecclésiale puisse retrouver son caractère pleinement communautaire au même rythme que la vie scolaire, sociale et économique de notre pays à partir du 11 mai 2020 » (1). Ils témoignent de la qualité du dialogue qu’ils ont eu avec le Président de la République et le gouvernement. Ils annoncent un plan pour permettre que ce déconfinement se fasse dans le respect des barrières de sécurité. Un certain nombre de catholiques partagent ce sentiment d’urgence d’ouvrir dès le 11 mai leurs lieux de cultes : ils mettent en avant le fait que la dimension spirituelle et sociale est aussi vitale que sa dimension économique. D’autres, en revanche, (2) pensent qu’il n’est pas opportun d’anticiper ce déconfinement : « Il n’y a pas d’urgence pastorale puisque jamais les liens communautaires et fraternels n’ont été rompus, et bien des initiatives personnelles et de groupes de chrétiens se substituent tous les jours à la possibilité des rencontres institutionnelles notamment dominicales. »

La religion catholique n’est plus religion d’État. Elle est une parmi d’autres dans l’espace de la laïcité française. Il ne saurait donc être question que l’État autorise aux catholiques ce qu’il interdirait à d’autres religions. Il se trouve que la seconde religion – quant au nombre de pratiquants - est l’islam et que le ramadan a commencé pour les musulmans le 24 avril pour se terminer approximativement le 24 mai. N’aurait-il pas été urgent que les autorités catholiques se concertent avec des responsables d’autres religions – en l’occurrence de musulmans - avant de s’adresser au chef de l’État et aux membres du gouvernement ?

On dira que la hiérarchie catholique était dans l’impossibilité de le faire dans la mesure où elle n’a pas d’interlocuteur musulman : il n’y a pas de hiérarchie en islam. Cependant, il existe dans chaque mosquée des responsables élus et donc représentatifs des autres pratiquants. Par ailleurs, les règles et coutumes concernant cette période du ramadan sont unanimement suivies dans le monde musulman. Il y a sur ce point consensus. N’étant pas nous-mêmes musulmans, nous ne pouvons pas dire à leur place si ce déconfinement aurait été souhaitable dès le 11 mai – en plein milieu du ramadan – mais il nous semble qu’il aurait été pour le moins courtois de le leur demander.

Si la hiérarchie catholique avait regardé du côté de l’islam qu’aurait-elle appris ?

Nous ne sommes pas musulmans et nous ne pouvons décrire que ce que n'importe qui, fréquentant des musulmans, peut constater de l'extérieur.

- En période de ramadan (hors confinement) les mosquées sont bondées non seulement le vendredi mais tous les soirs pour la prière du coucher du soleil et la nuit (après l’iftar). Un déconfinement à partir du 11 mai aurait concerné, pour les catholiques, surtout les messes du dimanche suivant. Il aurait dû pouvoir s'appliquer le jour-même en islam.

- Dans l’Église catholique on peut célébrer la messe dominicale à toute heure à partir du samedi soir jusqu’au dimanche soir. En islam, les heures de prières sont les mêmes pour tous les musulmans à un niveau mondial.

- Le nombre des églises – et le petit nombre de pratiquants - permet de multiplier les lieux de célébration tout en respectant les règles de distanciation. Le petit nombre de mosquées – et le grand nombre de pratiquants en période de ramadan – rend beaucoup plus difficile ce respect.

- Le jeûne des musulmans ne va pas sans un partage de la nourriture avec les plus défavorisés. Toutes les mosquées organisent chaque soir un repas pour eux. Cette année les musulmans se sont ajustés aux règles du confinement : à la place du couscous dans leurs locaux, ils ont commandé de la nourriture pour des paniers à emporter. Est-il possible ou non de rouvrir des tables à l’intérieur des mosquées en fonction des réserves déjà faites ? Eux seuls peuvent le savoir.

- L’Aïd est la grande fête qui clôture le ramadan. Elle regroupe tellement de monde qu’il n’est en général pas possible de la célébrer à l’intérieur des mosquées. Beaucoup de municipalités prêtent un terrain de sport pour l’occasion. Comment faire respecter les règles de confinement dans ce cadre ? Qui aurait eu accès au lieu de prière et qui n'aurait pas pu y entrer ? Selon quels critères ? Qui aurait eu la charge de les faire respecter ?

De toutes façons, en raison de l’histoire et des impératifs des cultes, il sera, nous semble-t-il, plus difficile de mettre en place des barrières de sécurité après le déconfinement en islam qu’en christianisme. Cependant, selon nous, les difficultés sont multipliées par 100 à vouloir les mettre en place en pleine période du ramadan.

Ceci n'est que notre point de vue. Nous pouvons nous tromper. Encore aurait-il fallu penser à travailler avec des musulmans avant d'aller trouver le gouvernement.

Y a-t-il urgence ou non à déconfiner les lieux de cultes ?

La hiérarchie parle de "dé-confiner" une situation dont elle s'extrait car ses positions restent "confinées" dans son propre point de vue. Il y aurait eu urgence à ce qu'elle n'élabore pas sans dialogue et travaille avec les autres religions un plan de déconfinement.

Ce n'est pas par rapport aux seuls musulmans que les évêques ont fait cavalier seul. Il en est de même par rapport aux juifs et aux protestants. Nos évêques semblent n'avoir pas encore assimilé que le catholicisme n'est plus " la religion de la France ", mais une religion parmi d'autres chez les français, et qu'une fraternité entre tous est à promouvoir ? D'un point de vue inter-religieux, l'absence de concertation avec des musulmans et des juifs nous semble regrettable. D'un point de vue œcuménique (dialogue entre les différentes confessions chrétiennes), l'absence de concertation avec les autres confessions chrétiennes en particulier avec les protestants est triste.

Il y a urgence à ce que la hiérarchie catholique mène les fidèles à l’écoute des autres en particulier des minorités sociales et religieuses. Elle ne peut être crédible que si elle-même le fait en premier. Pour cette fois, à notre avis, c’est manqué. Reste à espérer pour l’avenir…

Nicodème (l’équipe animatrice de Dieu maintenant), le 29/04/2020
Pastel de Noëlle Herrendschmidt (la prière dans la mosquée de Gennevilliers)

1- Cf l’article de JC Reynaud en date du 25 avril dans Info Chalon.com, cité ici. / Retour au texte
2- Extrait du communiqué de presse de la Conférence Catholique des Baptisé(e)s Francophones en date du 27 avril 2020. / Retour au texte