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Jours sombres en Eglise
Xavier Puren
Extraits recueillis par Nicodème

Xavier Puren, breton d'origine, est un ancien travailleur social. Il est marié, père de trois enfants et grand père de deux petits enfants. Dans son livre Jours sombres en Église, quel avenir demain ? (1), il raconte ce qui l’a poussé à vivre sa foi à l’écart de toute structure institutionnelle. Nous en extrayons l’épisode central qui se cristallise autour du licenciement d’un laïc animateur en pastoral, dans ce qui fut la paroisse où Xavier s’était engagé. Cette histoire ne rejoint-elle pas l’expérience faite par bien d’autres croyants aujourd’hui ?

(3) Commentaires et débats

L’histoire se déroule sur une bonne dizaine d’années, dans la paroisse d’un chef-lieu de canton breton : Plouguinel (2). Elle s’achève il y a environ cinq ans, dans des tensions telles que nombre de chrétiens engagés décident, au nom de leur foi, de quitter non seulement cette paroisse mais toute structure institutionnelle catholique. L’incompatibilité entre deux manières de vivre en Église se révèle à partir des relations entre les laïcs avec trois curés successifs, un évêque et un animateur en pastorale.

Première période : avec Joël comme curé dans la mouvance de Vatican II

Pour Joël, le curé n’est pas le patron de la paroisse mais celui qui va permettre que s’exerce une réelle collaboration entre prêtres et les laïcs. Il sait repérer les capacités de ses paroissiens, chercher et trouver avec eux la manière de faire vivre cette paroisse et de l’ouvrir sur le monde. « Sa maison était celle du peuple chrétien, ouverte à tous. Cuisine et salle à manger devenaient le lieu du partage et de la convivialité. Cet accueil sans condition entraînait des passages en grand nombre. Une véritable ruche se développait. (3) » Joël et des chrétiens qui travaillent avec lui sont attentifs, au nom de leur foi, à la justice dans les relations internationales : beaucoup sont impliqués dans le CCFD-Terre Solidaire. Ils sont également désireux de rejoindre les plus marginaux de leur entourage. Pour Joël, la tâche devient trop lourde et, avec l’équipe de laïcs qui anime la paroisse, il envisage d’embaucher un animateur en pastorale.

Le choix de Joël se porte sur Chris : un homme dont il avait repéré les capacités de créativité, le sens de l’organisation et la formation chrétienne relativement importante… malgré sa forte propension à l’alcool en particulier le week-end. L’équipe animatrice dans son ensemble acquiesce à ce choix. Dans la paroisse, certains le comprennent alors que d’autres le refusent « au nom de ‘valeurs’ et d’une exemplarité, nécessaires à ce poste ». Chris est finalement embauché et s’épanouit dans ses nouvelles fonctions au point que « son addiction à l’alcool diminue jusqu’à disparaitre complètement ». Son sens des relations et sa créativité se déploient auprès des jeunes, des enfants et de leurs parents souvent éloignés de l’Église. Non seulement Chris entre dans la dynamique de la paroisse mais il la développe.

Cependant ce succès, bien loin d’éteindre les critiques, radicalise ceux qui refusaient l’embauche de Chris ou plutôt ceux qui prennent son embauche comme prétexte d’une contestation bien plus fondamentale qui hésitait encore à s’exprimer ouvertement. En fait l’histoire prouvera qu’ils refusent que le curé ne se présente pas comme « l’homme du sacré », supérieur aux baptisés, et détaché de ce qu’ils appellent de la « politique ». « La forte personnalité de Joël tempérait le travail de sape de ces personnes aigries et campées dans leurs certitudes. (Mais) les attaques sournoises et pernicieuses épuisèrent à tel point Joël qu’il en devint malade et ne put supporter la charge qui lui était confiée. » Au bout de sept ans, « il fut nommé ailleurs et, dans ce nouveau lieu, le cancer qui le rongeait déjà à Plouguinel l’emporta dans la tombe. »

Deuxième période : la promotion de fin de carrière du nouveau curé

Un nouveau prêtre arrive. « Il trouve son bâton de maréchal dans cette promotion de fin de carrière comme curé de canton ». Joël considérait que le service d’Église auquel il s’était engagé consistait à être à l’écoute de ses paroissiens, à découvrir les talents de chacun et à permettre que la vie circule entre eux. Le nouveau curé considère qu’il a été ordonné pour que les fidèles lui obéissent. Il se présente en maître que nul fidèle n’a le droit de contester. Cette maîtrise s’exerce d’abord sur les lieux : plus question de faire du presbytère une plaque tournante. Il en expulse tout le monde, y compris le vicaire africain qui y résidait. Sa maîtrise s’exerce aussi sur toutes les actions menées par les laïcs en collaboration avec l’ancien curé : il reprend la main « sur les équipes diverses, (funérailles, visites des malades, animations liturgiques, chapelles…) » et l’équipe pastorale est dissoute. Sa maîtrise s’exerce également sur l’argent : « en particulier l’argent des messes et des quêtes. Son rapport aux finances était maladif. » « Était-ce un homme imbu d’autorité et de pouvoir qui arrivait ? En tout cas, il semblait ne pas supporter la contradiction. Le dialogue devint impossible. Tout désaccord le mettait dans une colère folle. »

Les visées autoritaires et centralisatrices du curé permettent à la frange la plus conservatrice de donner de la voix. Chris se retrouve au centre d’une polémique entre deux manières de vivre en Église qui semblent inconciliables. Le curé ne peut pas supporter sa présence et lui voue « ce qu’il faut bien appeler une haine ». Il passe des jours sans lui adresser la parole et, lorsqu’il lui parle ce n’est que pour lui adresser de vifs reproches. Les paroissiens qui apprécient cette présence cléricale ne répondent même plus au bonjour de Chris. Chris aurait pu renoncer à son travail s’il n’en était pas allé de sa foi la plus profonde. C’est elle qui le pousse à désirer une Église conviviale et ouverte sur les questions de société. Au nom de sa foi, il résiste.

Cependant d’autres baptisés ont moins de résistance que lui. Les premiers départs ont lieu lorsque le curé invite ses paroissiens à participer à la grande manifestation à Paris contre le mariage pour tous. D’une manière générale, l’atmosphère devient irrespirable. « Découragés, déboussolés certains laïcs se retirent plutôt que de se soumettre bêtement : il en allait de leur survie psychologique, de l’unité de leur couple, de la stabilité de leurs familles. Devant tant de violence, ils préféraient se protéger pour sauvegarder leurs priorités familiales. Prendre parti devint mortel. » « Et pendant ce temps, Chris sombrait dans un burn-out dans toute sa splendeur. » Un groupe d’amis tente de le soutenir envers et contre tout. « Pendant un an le calvaire de Chris se poursuivit. Et, chose incroyable, en fin d’année scolaire, ce fut monsieur le curé qui fut muté… comme un fonctionnaire ! Que s’est-il passé dans la tête des décideurs ? Mystère. »

Troisième période : les diktats tombent d’en haut

« Quelques mois passèrent. Monseigneur vint célébrer à Plouguinel un dimanche, une messe de pardon de chapelle selon le rite de Pie V, en latin, dos au peuple. Le ban et l’arrière-ban traditionaliste de la région furent convoqués pour faire nombre, certains avec leurs petits tapis pour pouvoir s’agenouiller pieusement et proprement lors de la consécration. La messe se déroula (…) avec force de goupillon, de génuflexions, d’oremus, de bruit de clochettes et d’encens. Le peuple en avait pour son argent, déposé à la quête sans bruit, tant les billets, et non les pièces, étaient lourds de remerciements pour ce ‘vrai saint-sacrifice-de-la-messe’. »

Arrive le nouvel administrateur. Il demande qu’on l’appelle « Père » et exige qu’on le vouvoie. Il se veut le visage de la sagesse et de l’autorité, au-dessus des conflits. « En semaine, le nouveau curé dit sa messe en latin ne tenant pas compte du désaccord des religieuses et des paroissiennes présentes. Les liturgies dominicales sacralisent les prêtres et remettent les laïcs à leur place, les femmes occupant la dernière. « Très vite, Chris sent la pression monter. Ce groupe de musiciens, créé à la demande de Joël pour animer les liturgies n’était pas très orthodoxe… avec ses batteries et ses guitares… (…) Peu importe qu’il emportât l’adhésion des jeunes, la participation joyeuse des familles, la commune union d’une paroisse, c’était trop moderne et si peu religieux. » Chris « avait un côté Don Quichotte bravache, mais ses moulins à vent étaient bien réels et brassaient un vent d’animosité tout aussi réel ». Aussi fut-il foudroyé quand il reçut une lettre le convoquant à un entretien préalable avant licenciement.

Jusqu’alors peu avaient bougé pour soutenir Chris ouvertement. « Mais là, devant ce licenciement et surtout ses modalités, chacun y alla de sa missive à l’évêché pour contrer les propos malfaisants et contrebalancer les autres courriers à partir desquels s’appuyait le licenciement. » Une vingtaine de paroissiens décident ensemble d’écrire à l’évêché. Ils proposent plusieurs rencontres de concertation. Rien n’y fait. « Au-delà du prêtre référent, il y a le responsable des animateurs diocésains (…). Puis il y a le service des relations humaines. Des purs et durs qui ne supportent pas que l’on s’écarte de la ligne traditionnaliste. Puis il y a l’économe qui finance les postes et qui a son mot à dire et qui signifiera le licenciement à Chis. Il y a encore les vicaires généraux qui assurent la ligne de l’évêque. Et il y a ce dernier avec son secrétariat filtrant. Tous les rouages de cette église hiérarchique sont représentés. Pour être du solide, c’est du béton armé ! C’est bien simple, tout le monde se retranche vers un autre lorsqu’on tente d’avoir un interlocuteur. Même le vicaire général dira qu’il ne peut rien faire et que ça dépend du curé du lieu, seul maître à bord… qui, lui, renvoie la balle aux décideurs financiers. » « Leurs attitudes ont été comme une flèche dans le cœur de personnes qui croyaient en ces responsables. Leur naïveté de gens de bonne volonté a buté sur des manières de faire semblant, faire comme si rien ne s’était passé, faire croire qu’ils comprennent, laisser faire le temps qui gommera le passé. Mais peut-on effacer ces blessures par l’oubli ? »

Sans attendre les deux mois prévus par la loi, Chris est licencié dès le lendement de la réception du courrier notifiant ce renvoit, sans même que la paroisse dans son ensemble en soit avertie. « Après avoir rendu les clefs, (il) se retira chez lui où il vit seul, avec des provisions d’alcool. Il n’avait trouvé que cette solution dans son immense détresse. Il s’enferma dans sa maison pendant des jours et des jours refusant tout contact avec l’extérieur quel qu’il soit. » Jusqu’au jour où l’un de ses amis « décide de tenter une énième visite avant d’appeler les pompiers. » Il trouve l’arrière porte de la maison ouverte et Chris terré au fond d’une petite pièce. Ce jour-là, au bord du suicide, il ne refuse pas la main tendue… Aujourd’hui Chris n'est toujours pas remis de cette profonde blessure. Cependant, « son chemin est illuminé par la présence dans sa vie, d’une amie, Leeloo. » Juridiquement, l’évêché s’était couvert. Cependant, pour éviter un prud’homme et une publicité dont il n’a pas besoin, le diocèse proposa à Chris une importante indemnisation financière. « La démarche réjouit Chris car il y voit une certaine forme de reconnaissance de la faute de l’employeur et des conditions plus que douteuses de son licenciement. » (…)

Quel avenir pour les proches de Chris et tant d’autres ?

Que sont devenus les proches de Chris ? « Certains ont tourné la page. D’autres, sans illusion, continuent d’appliquer, pour leurs enfants en accompagnement de catéchèse, des directives obligées dans l’incompréhension, sans joie et sans allant... Ils se disent aussi qu’avoir un pied dans la structure permettrait de rectifier les tirs tordus. Certains encore se trouvent dans un entre-deu : il y a comme une déroute dans leur à-venir. Bien sûr, la vie quotidienne reprend le dessus. Mais, à l’intime, dans le silence, ils reflètent leur expérience d’une cicatrice intérieure qui a du mal à se refermer. Une injustice, un sentiment de mépris, une tristesse les rongent et les rendent amers.

Pourtant, même si physiquement et intérieurement ils ont pris leurs distances vis-à-vis de l’Institution, ils restent dans leur for intérieur dans une attente qui ne dépend plus de la structure et dont ils ne savent pas de quoi elle est faite. Quelque chose de cassé en eux. Une page qui se tourne porteuse d’une nouveauté indicible pour l’instant. Ils sont comme écartelés entre un passé fini et une perspective qu’ils ne maîtrisent pas. Plus de retour en arrière possible car ils pressentent que là n’est pas la Voie, et, en même temps, la découverte fine d’un pas-à-pas incertain vers un inconnu qui se repousse chaque fois qu’ils vont de l’avant, comme un horizon qui se dérobe au fur et à mesure des avancées.

Mise en route d’une douloureuse espérance dont ils ont du mal à nommer le contenu. Route de nuit qui les porte, comme Abraham qui ‘partit sans savoir où il allait’. Ce sont des migrants vers de nouvelles terres intérieures dont ils ignoraient l’existence. Ils sont à la foi en exil de l’institution-Église et en exil d’une vieille part d’eux-mêmes, une vieille peau dont ils se dépouillent avec une facilité étonnée. Expérience de la perte pour une avancée pas forcément paisible mais accueillie dans la confiance en ce qui va advenir, ‘comme s’ils voyaient l’invisible’. »

Ce chapitre de l’histoire de la paroisse de Plouguinel s’achève sur une « Lettre ouverte des chrétiens dans la tourmente » dont nous extrayons ces passages :

« L’institution nous a tant protégés, sécurisés, que nous étions douillettement installés et entretenus dans nos habitudes et nos ‘services’. Nous avons bousculé et dérangé ces coutumes. Y compris en nous-mêmes. Voici que se murmure peut-être en nous un discret appel à vivre notre foi autrement. Dans l’exigence (douloureuse parfois) de chercher que vivre sa foi c’est autre chose que de seulement pratiquer une religion ou de participer à des Rogations ou des pardons. (…)
Apprendre à découvrir, loin des discours convenus, que le Christ n’est pas que dans le tabernacle, ou enfermé dans une Église, mais qu’il s’agenouille au pied de chaque homme. Quel qu’il soit. Maintenant, et à toute heure du jour et de la nuit. Que la Transcendance toute puissante du Père n’est ‘joignable’ que dans cette Immanence, cette présence à l’intime, par laquelle il se dit en nous avec discrétion.
Nous voici dans la belle précarité de ne plus faire ’comme si’ ou de transmettre un héritage ou un savoir aujourd’hui in-croyable et irrecevable. Invités à nous ouvrir et à participer à l’Inconnu qui s’annonce. On ne peut le faire seul. Que faire aujourd’hui du "NOUS" à qui il a été donné d’être ensemble ? (…) . Sans bruit, des "passants" se lèvent et invitent tout un chacun à en rejoindre d’autres. »

Xavier Puren (extraits recueillis par Nicodème), février 2023
Pastels de Noëlle Herrenschmidt

Si vous êtes intéressés par la lecture de ce livre « Jours sombres en Église, quel avenir demain ? » vous pouvez le commander ici : https://www.golias-editions.fr/produit/jours-sombres-en-eglise/ ou par l’intermédiaire de votre libraire habituel. D’autres extraits sont également proposés sur le site internet de l’auteur :« Appelés à la liberté… » (auquel on peut s’abonner gratuitement).

1- Xavier Puren Jours sombres en Église, quel avenir demain ? Golias Editions, décembre 2022 / Retour au texte
2- Les noms de lieu et de personnes ont été changés / Retour au texte
3- Tous les passages entre guillemets sont extraits du livre de Xavier Puren. / Retour au texte