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La magnifique et spontanée solidarité
envers les réfugiés syriens de la Porte de Saint-Ouen
Jean-Michel Cadiot

L'actualité sur le drame des réfugiés syriens n'est pas seulement connue par ce qu'en montrent les médias. Ouvrons les yeux sur certains quartiers de nos villes. On décèle à la fois une détresse intense et une soldarité chaleureuse dont Jean-Michel nous apporte le témoignage.

Jean-Michel Cadiot est journaliste, membre de l'équipe animatrice de "Dieu maintenant".

(3) Commentaires et débats

Désolation à la porte de Paris !

Jeudi 10 septembre, comme la veille, des visages de réfugiés, des enfants, des femmes, des hommes, errant entre Turquie et Europe occidentale ou scandinave, ou risquant la mer

Tous espèrent trouver en Europe une vie nouvelle, tranquille, confortable. Ils y croient. L'Allemagne dit vouloir en accueillir. La France hésite. Des pays de l'Est européen, qui clament se reféer au christianime, affirment clairement refuser les musulmans. Ils font un tri. Où est l'Evangile ?

Une information circule, sur les réseaux sociaux, selon laquelle des réfugiés, Porte de Saint-Ouen à Paris, étaient dépourvus de vêtements. Nous lançons une collecte en famille, et samedi, partant en voiture à la Fête de l'humanité, pour évoquer un livre que je viens d’écrire sur Saâd Abssi
(1), je cherche vainement la table ou les tables annoncées où s'opérerait une telle collecte. Aucune activité particulière visible de l'extérieur. Il pleut. Au moment de repartir, juste avant de prendre le Périphérique, j'aperçois dans une petite rue, la rue Louis Pasteur Valéry Radot, une dizaine de tentes bleues, mais rendues grises, et jaunes par la saleté et des giclées de boue.

Je m'approche dans la petite rue, et découvre de jeunes mamans avec des nouveaux-nés, une femme enceinte d'au moins huit mois apparemment, des enfants qui courent dans les immondices. Je ne pense pas avoir jamais été témoin de telles désolations. Jamais n'avoir contemplé une telle impuissance, et en même temps une volonté de paraître dignes. Malgré la faiblesse de mon arabe, j'entame la discussion. Les hommes arrivent. Tous très jeunes, et plus tristes, accablés, eux. Ils viennent de Tartous, Alep, Lattaquie. Ils sont parvenus, via la Libye généralement, à gagner ce qu'ils pensaient être un eldorado. Il y a quelques semaines qu'ils sont là. Ils ne savent pourquoi précisément là. Aucune autorité ne s'est préoccupée d'eux. Certains ont un passeport ; d'autres apparemment pas. Une adolescente parle un peu français et m'aide dans ce premier contact. Puis une femme algérienne arrive, et dit son désarroi devant cette situation extrême, et aussi sa volonté d'aider. Depuis des jours, elle agit, presque seule. Je suis frappée par sa bonté, sa patience. Pas de sanitaires, pas de repas distribués régulièrement, pas de soins pour des enfants malades. Tout cela dans la pollution... et sous la pluie devenue battante. Tout à côté, un garage d'autobus. Et l'indifférence.

Les vêtements sont accueillis avec joie, et distribués. Les familles se les partagent, sans affolement, dans la bonne humeur. Je dois partir ; et comme par une étonnante circonstance, à La Courneuve, je m'abrite des averses puissantes au stand de la fédération ariégeoise du PC pour un rapide déjeuner. Or Jacques Gaillot, l'évêque des pauvres, tout juste revenu de son entretien à Rome avec François, le pape des pauvres, est là. Ce sont de belles retrouvailles, je ne l'avais pas vu depuis au moins deux ans. J'y vois un signe, un encouragement. Il faut sortir de ce piège inhumain ces familles syriennes. Tenter d'imiter Jacques, imiter François.

Patrick lance des veilles médicales, crée un collectif

Le lendemain matin, nous retournons en famille Porte de Saint-Ouen. Etrangement, de nouvelles tentes sont apparues, en plein milieu de l'avenue de la Porte de Saint-Ouen, à moins de 50 m de ceux que je ressens déjà comme des amis. C'est vers eux que nous allons. Les mamans sont là, la dame algérienne venue avec deux autres. Tous semblent contents, mais n'ont rien mangé ce matin. Un seul moyen : leur offrir déjà un repas, avant qu'une solidarité plus active ne puisse s'organiser. Et là encore, dans cette boucherie Halal proche de la Porte de Montmartre, les dix poulets rôtis théoriquement cinq euros pièce, sont payés trois euros, un euro offert par le patron, un autre par l'employé, dès lors que nous disons qu'ils sont destinés à des réfugiés. Des gestes tellement beaux.

Nous constatons l'immensité de la tâche. Il y a nos quelques 20-25 amis. Et il y a en a bien plus, tout aussi démunis à 50 mètres. Les télés nous montrent les images atroces des réfugiés « baladés » en Europe centrale, ou bravant très dangereusement la mer, parfois agitée. Mais rien sur ceux qui sont pourtant déjà là à côté de nous, tellement proches, et qui attendent secours.

Que faire ? Attendre le lundi, que mairie, préfecture, associations soient joignables. Mais il y a moyen immédiat de réveiller déjà des consciences, de nouvelles solidarités : Facebook.
J'évoque cette situation sur ce réseau social, sans photo accompagnant le texte. Aussitôt, un médecin cardiologue, Patrick Bouffard, qui habite Porte de Saint-Ouen, réagit. Il est d'une efficacité prodigieuse. En quelques heures un collectif se met en place. L'association SOS#réfugiés s'active. Patrick organise une veille médicale quotidienne, avec Florence notamment. La gale,semble-t-il, est apparue. Risque de gastro. Risque surtout d'accidents, les enfants qui aiment jouer, comme tous les enfants, pouvant être aisément fauchés par des voitures qui roulent à côté d'eux.
Lui-même alerte ses réseaux et la réponse est immédiate, puissante. Il met en garde aussi le Conseil de l'ordre des médecins.

Moi-même, je joins la mairie du XVIIIè au nom de mon association, l'Association d'Entraide aux Minorités d'Orient (AEMO), qui depuis sept ans se met au service des réfugiés, principalement jusqu'ici chrétiens ou yezidis irakiens. Mais désormais tous sont des minorités.

La mairie réagit

Violaine Trajan, adjointe à la petite enfance et à la famille, s'engage à un règlement, à l'octroi d'« enfin un toit » à ces personnes. Mais la mairie relève les difficultés de recenser les réfugiés, les règles à suivre, les complications. Le maire se rend sur les lieux. Une solution est sans doute en vue, mais la mobilisation des solidarités spontanées est plus que jamais absolument nécessaire.

Mardi, avec Sima Merchak, une femme iranienne entièrement dévouée à la cause des pauvres et des réfugiés et son ami Yashar, organisateur hors pair, tous deux de l'association Ceda, nous retrouvons nos amis de la Porte de Saint-Ouen, offrant ce dont nous disposions comme linge et lait pour bébés. Toujours le même sourire. Mais le lieu est toujours aussi sale, et il faut hurler auprès de la mairie pour obtenir que la place soit nettoyée. Mais la solidarité bat déjà son plein, et les vêtements sont trop nombreux, et donnent lieu à des échanges étranges, à quelques mètres du Marché aux Puces... Les visages des réfugiés sont plus sereins, malgré ces tensions nouvelles. Ils savent qu'ils ne sont plus seuls. A l'appel de Patrick, des artistes proposent des distractions aux enfants, des peluches sont distribuées.

Direction l'école Jean Quarré, dans le 19ème , où des centaines de réfugiés, soudanais, érythréens, afghans et iraniens s'entassent accumulant les misères. Il y a eu des violences, et il y aura même une véritable bataille rangée, avec un blessé quelques jours plus tard, certains s'estimant spoliés au moment des repas. Sima apporte sa chaleur et son écoute. Et bien sûr des vêtements.
Un passage à l'association "Chorba pour tous" où le président Hachemi Boudrahem, propose des repas, de véritables plats au mouton et au riz qui seront servis régulièrement, après quelques jours, aux Syriens de la Porte de Saint-Ouen.

Mais à Saint-Ouen même, devant l'église Notre-Dame du Rosaire, trois familles ont planté leurs tentes dans un jardin. Nous nous y rendons, avec Monique, épouse d'un Syrien, qui a vécu dans ce pays, qu'elle aime profondément, pendant 30 ans, et se consacre aux réfugiés. Elle alerte, elle, la mairie de sa ville, Ivry.
Nous joignons Jean-Baptiste Ayrault, l'infatigable animateur de Droit au logement (DAL). Il projette une opération d'installation de sans-abris, pour ce même jour, justement à Saint-Ouen. Il veut y associer les Syriens. Cela apparaît impossible, mais toujours, nous restons en contact.

Hélas, les réfugiés de Saint-Ouen seront expulsés peu après par la police, à la demande des riverains, la paroisse assurant n'y être pour rien. Peut-être. Grande tristesse. Nous apprenons que deux bâtiments dans le 14è arrondissement où je vis sont réservés aux réfugiés syriens, dont l'ancienne école d'infirmière de Cochin. Mais ils sont destinés à ceux en attente de venir d'Allemagne dans le cadre de l'accord européen… Logiques bureaucratiques.

Expulsions à Saint-Ouen

Porte de Saint-Ouen, en ce qui concerne le suivi médical, tout se présente mieux. Patrick est en contact avec Médecins du Monde, et avec l'hôpital Bichat, tout proche. Les réfugiés qui en ont besoin sont conduits en consultation. Questions vêtements et nourriture, ça va beaucoup mieux aussi.
Jeudi, avec Elish Yako, secrétaire général de l'AEMO, franco-iraquien, nous rendons visite à nos amis. Elish qui connaît si bien la Syrie, s'entretient avec tous. Ils sont tous syriens, contrairement à des informations qui circulent, même en haut lieu. Mais certains sont sans doute des « Doms », c'est-à-dire des Roms syriens, exclus parmi les exclus.

Chaque jour, le cabinet du maire rend compte des efforts. Mais pas de solution définitive en vue.
Dimanche, nous alertons les paroisses du XVIIIè. Un prêtre particulièrement généreux, Alain Ollivier, curé de Sainte Hélène nous dit la mobilisation des chrétiens, la coordination des paroisses.
Son homélie est entièrement consacrée à l'accueil « de l'autre », en l'occurrence des réfugiés, et à la nécessité de répondre à l'appel de François. « Quiconque accueille en mon nom un enfant comme celui-ci, c'est moi qu'il accueille », disait Jésus dans l'évangile de Saint Marc lu auparavant. Ces paroisses s'occupent surtout, avec succès, des Soudanais; trouver des familles d'accueil est presque impossible.

L'aïd organisé par Sima et Yachar

Jeudi 24, c'est l'aïd. Sima et Yashar ont organisé, avec une association algérienne, une grande fête au parc de Saint-Ouen où viennent plus d'une centaine d'Afghans. Tous connaissent et embrassent chaleureusement Sima. Hélas, pas moyen de faire venir les Syriens, qui ne peuvent quitter leurs tentes. Nous apportons néanmoins à ces derniers une vingtaine de repas -mouton ou poulet au riz. D'autres étaient déjà passés pour les agapes, et nos amis de la rue Louis Pasteur Valéry Radot étaient rassasiés. Mais plus loin, d'autres, installés sous des tentes à même la rue, sont heureux de bénéficier du repas.

Médecins du monde et l'association "Revivre", qui poussent aussi les pouvoirs publics à l'action, ont installé « leurs » tentes pour la journée, à l'écoute.
La presse, le Monde, Libération, l'AFP ont rapporté cette tragédie de la Porte de Saint-Ouen et rapportent les actions de Patrick et de ses amis et collègues. Les pouvoirs publics, seuls à même de régler la question, sont mis au pied du mur. Une jeune femme, Pascale Comte, avec son association, Nanoo, a offert des jouets et des peluches aux enfants, sympathisant avec les deux mamans, Khadra, la première rencontrée. Elle relate ces rencontres et tous ces engagements solidaires sur son blog. Une collecte a permis de rassembler 4.000 euros, et des citoyens, des « aidants » comme les appelle Patrick, offrent nuits d'hôtels sur nuits d'hôtels. Au départ, nous pensions que c'était plutôt une mauvaise proposition, car le retour à la réalité de la tente est généralement terrible. De fait, cela s'est avéré efficace et a permis aux enfants et aux parents des temps de repos et de propreté salutaires.
Une famille irakienne a pris ses quartiers aussi. Si la voirie fait son œuvre, la saleté prend sa revanche très vite. Non, ça ne peut durer. La mendicité, pratiquement absente aux premiers jours, prend de l'ampleur. La mairie fait comprendre que l'aspect « sécurité » est essentiel. Oui, mais la sécurité ne pourra être assurée que par une solution pérenne, et non par des opérations policières ponctuelles.

Et c'est pourtant cette mesure redoutée qui prendra corps. Mardi 29 septembre, au petit matin, la police, profitant de l'absence de nombreuses familles, à l'hôtel justement, « libère » les lieux. C'est la consternation pour tout le monde, même s'il n'y a aucune violence. Après des tractations, certaines familles pourront être de retour dans leurs pauvres abris de toile dans la soirée. Une bonne partie, dont la maman qui avait un nouveau-né, avaient pris le chemin de la Belgique. L'information s'était répandue depuis quelques jours selon laquelle ce pays serait plus souriant.

« Magique »

Jeudi 1er octobre, nous nous retrouvons à plusieurs, après un nouvel « harcèlement » de la mairie. Un couple tunisien ému aux larmes, se propose d'accueillir une famille. L'élan de solidarité s'amplifie. Les veilles médicales initiées par Patrick et les liens établis avec l’hôpital Bichat se fortifient. De jeunes algériennes, comme Myriam, dans un arabe impeccable, confortent les réfugiés. Elle emmène un enfant chez elle pour l'après-midi.

Ce même soir, Patrick, communique la bonne nouvelle : les réfugiés de la Porte de Saint-Ouen, une centaine, seront relogés demain. Oui, demain.

Il annonce sur son compte Facebook vendredi Matin, l'événement qu'il qualifie de « magique ».

Les réfugiés sont dans un premier temps conduits à Bichat « hors les murs ». Puis ils sont accueillis, le temps de commencer leurs véritables démarches d'asile, dans des hôtels - très convenables, selon la mairie - de la région parisienne.

Le temps de se ressourcer, de se reposer, sinon de réapprendre à vivre. De commencer véritablement les démarches d'asile Le chemin sera encore long pour ces réfugiés, dont la dignité et le sourire, souvent les rires des enfants, ont éveillé tant de chaleur humaine, de solidarité, de bonté, même si les efforts n'étaient pas, ne pouvaient être parfaitement coordonnés.

La vie continue. Les « Grands » - Etats-Unis, France et Russie - se disputent la légitimité de leurs frappes, jusqu'ici bien peu opérantes, contre l'Etat islamique. Il va pourtant falloir qu''ils s'entendent !

En France, la situation se détériore à Jean Quarré. Pire encore à Calais. La Pologne - qu'en dirait Jean-Paul II ? -, la Hongrie et la Slovaquie se ferment. L'Autriche et l'Allemagne continuent d'hésiter, mais là aussi, les solidarités sont extraordinaires.

Au fait, pendant ces trois semaines, personne n'a demandé à l'un ou l'autre ses opinions, ou sa position sur le conflit.

L'ordre du jour était seulement l'élan de solidarité. Personne n'a songé à refermer la porte.

Rea et Mahsa

Dans la rue, à Paris, il y a des demandeurs d'asile ou des sdf de toutes nationalités.

Mercredi 7 octobre, Sima et Yachar, nous alertent sur un jeune couple de chrétiens iraniens, convertis, appartenant donc désormais à une minorité menacée, Reza et Mahsa, - enceinte de huit mois -, dormant dans la rue près de la gare du Nord.

Grâce à Elish et Elisabeth, de l'AEMO, une solution se dessine : un couple de retraités, Augustin et Ivana, habitant le Lubéron se proposent pour les accueillir. Tout va très vite. Ils ne dormiront plus dans la rue. Une famille leur offre l'hospitalité pour une nuit de repos, près de la gare Saint-Lazare.

Une arrestation policière dans le métro, d'où ils ne s'en sont sortis que grâce à l'intervention d'un de leurs compatriotes, un véritable ange gardien, habitant Lagny - ville où ils dormiront vendredi soir - reporte d'une journée la délivrance.

Samedi, c'est le grand départ... Une nouvelle vie commence. Malgré la santé très précaire de Mahsa, une grossesse à risques, malgré la barrière de la langue et les aléas prévisibles d'une intégration dans un pays, une région méconnus, malgré la bataille de la régularisation qui s'annonce difficile, leur joie immense était audible au téléphone.

Pour les Syriens de la Porte de Saint-Ouen, comme pour ce couple iranien, comme il y en a à Calais, des élans de solidarité, de fraternité aussi spontanés qu'efficaces ont fait progresser, parfois aboutir, des causes qui semblaient perdues, surpassant l'indifférence, le fatalisme et la bureaucratie.

Chaque jour qui passe apporte son nouveau lot de causes à gagner...

Jean-Michel Cadiot
Peintures de Dominique Doulain

1) Saâd Abssi, le combat pour la dignité. Entre FLN, mosquée et église Jean-Michel Cadiot (Riveneuve éditions) / retour au texte