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Libre
de la honte à la lumière
Jean-Michel Dunand

Après de longues années de déchirement intérieur,
l’auteur finit par assumer son homosexualité sans pour autant renoncer à sa foi.

Éditions Presses de la Renaissance, 2011
Format papier


 
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Présentation (1)

À l’adolescence, Jean-Michel Dunand prend conscience qu’il est homosexuel et l’a toujours été. Le carcan de la morale provinciale de l’époque le contraint à vivre ses premières expériences en cachette. Le poids de la culpabilité est trop lourd, il ne peut accepter son orientation sexuelle. La foi intense qui anime sa vie, son aspiration au sacerdoce se heurtent douloureusement à la position de l’Église sur l’homosexualité.

Après de longues années de déchirement intérieur et de souffrances, l’auteur finit par assumer son homosexualité sans pour autant renoncer à sa foi. Un parcours de réconciliation qu’il livre aujourd’hui avec courage et honnêteté, en appelant l’Église à plus de tolérance et de confiance.

Le témoignage déchirant d’un homme qui a choisi le chemin de la vérité et peut aujourd’hui affirmer en toute liberté : « Gay je suis, catho, je reste ! »

Jean-Michel Dunand est aujourd’hui animateur en pastorale scolaire. Il a fondé la Communion Béthanie, une fraternité de prière au service des personnes homosexuelles et transgenres. À la suite du documentaire sur Arte (le 27/11/2019), « Homothérapies, conversion forcées » dans lequel Jean-Michel Dunand s’exprime, « Dieu maintenant » a mis en ligne un court article sur lui :
libredelahontealalumiere.html

Quelques extraits du livre

« Non, je n’étais pas homo ! » (pp 18-44)

Jean-Michel est en classe de 5ème. Il arrive un jour en retard. Il entend des murmures dans les rangs des élèves rangés dans la cour :

« Voilà le pédé ! Hé ! Tapette, tu ne t’es pas réveillé ce matin ? » (…) L’expérience de la honte est une souffrance qui vous pétrifie, qui annihile votre combativité, votre bon sens. Ces gamins d’une douzaine d’années venaient d’éliminer de moi une spontanéité caractéristique de mon tempérament. Pendant longtemps j’avais eu la prétention de croire que mes jeux qui ralliaient les enfants de mon quartier me rendaient populaire. Mais aucune de mes qualités ne pouvait espérer effacer la stigmatisation dont j’étais l’objet. Ce qui était aussi menaçant que leurs injures étaient la double vérité qu’elles contenaient : je savais au plus profond de moi-même que les élèves avaient raison sur mon orientation sexuelle et qu’il était primordial de la dissimuler, car, aux yeux de tous, c’était une anomalie, une tare, une faute. (…) Si le choix m’avait été possible, je doute que l’homosexualité eût recueilli ma préférence : les mentalités ont évolué, certes, mais lorsqu’on est confronté aux difficultés relationnelles, aux complications familiales qu’entraîne l’homosexualité, il est tellement plus simple d’être hétérosexuel. Qui souhaite s’exposer volontairement à la différence ?

A quatorze ans, Jean-Michel est en pèlerinage à Lourdes :

Le décalage entre la spiritualité du lieu et ma première expérience d’attouchement avec un homme m’a profondément perturbé. Je me sens aussi sale que les toilettes publiques où j’ai accueilli les caresses de cet inconnu. Je ressens intensément le besoin de me purifier. En marchant, sans m’en rendre compte, je prends le chemin de la basilique Notre-Dame-du-Rosaire. Je longe la rampe qui mène à la chapelle de la Réconciliation où des prêtres confessent. Je m’assois et attends mon tour en tripotant nerveusement la croix de bois que je porte au cou. Afficher ma foi n’est pas seulement l’expression d’une spiritualité bien réelle. C’est également une façon de dévier les critiques à mon encontre. Je supporte mieux, en effet, d’être moqué pour mes convictions religieuses que pour mon orientation sexuelle.

(…) Je ne voulais plus découvrir le mot ‘tapette’ sur la selle de mon vélo devant le collège, au vu et au su de tous les élèves… L’issue de secours qui s’offrait à moi était facilement accessible. J’allais puiser dans cette soif de Dieu qui était la mienne depuis mon plus jeune âge pour me forger une armure qui me protégerait non seulement des quolibets, mais également du chaos intérieur dans lequel je sombrais. Je posais alors progressivement les jalons d’un personnage entièrement tourné vers l’Église et ses demandes. Je dressai un rideau de fumée pour masquer le véritable foyer d’incendie.

Par la suite, Jean-Michel a régulièrement des relations sexuelles avec des partenaires de passage dans « des pissotières nauséabondes ».

Mais la simple suggestion d’une relation homosexuelle suivie provoquait une véritable terreur en moi. J’ouvrais la porte à la tentation qui m’exclurait de l’Église. Je voulais croire que le jour viendrait où je saurai contrôler mes pulsions sexuelles. Pour cela elles devaient rester irrégulières, improvisées. Or elles n’étaient que brutales lorsqu’elles forçaient la porte de ma résistance (…) Il fallut que j’attende mon vingtième anniversaire pour être le témoin d’un acte de tendresse entre deux homosexuels et prendre conscience qu’une relation pouvait être saine et emplie de beauté.

Pendant toute sa scolarité dans le secondaire, Jean-Michel tente de combattre son homosexualité et de se convaincre qu’il ne l’est pas. Il se réfugie dans la prière.

Non, je n’étais pas homo. Je savais réprimer mes pulsions sexuelles et me guérir de ce mal. Je me débrouillais fort bien puisque ma vie de prière ajoutée au travail scolaire avait eu raison de mes incursions dans les toilettes de la gare. Je venais de me prouver la puissance de la prière pour enrayer la spirale infernale dans laquelle me conduisait mon orientation sexuelle. Comme disent les drogués, « j’étais clean ». Et c’est précisément par peur d’une rechute que je torpillais mon avenir professionnel après mon bac en poche.

Jean-Michel renonce à une école d’éducateur et décide d’entrer chez les Carmes.
J’étais majeur, soutenu par quelques religieux qui manquaient de discernement. Mes parents durent céder. Je partis pour Montpellier.

« Cessez toute pratique homosexuelle
et vous verrez, vous irez mieux tout de suite… » (pp 45-105)

Entré chez les carmes, pour une période de probation, Jean-Michel – malgré sa lutte constante – y mène une double vie, entre la chapelle et les toilettes d’un cinéma proche du couvent. Un jour, il est vraiment à bout :

Le lundi 2 avril 1984, dans l’après-midi, je me rendis dans un cinéma porno. Comme d’habitude, je repérai un homme dans la salle. Quelques échanges de regards et nous nous retrouvâmes sans un mot dans les toilettes de l’établissement. Je rentrai du couvent juste à temps pour assister aux vêpres. Agenouillé devant l’icône du Christ qui trônait dans la chapelle, j’avais envie de vomir tellement je me dégoûtais. J’étais incapable de prier. Mon désir le plus profond était d’entrer dans les ordres et de devenir prêtre. Or je ne pouvais plus nier mon homosexualité et le plaisir que j’éprouvais dans les relations sexuelles. Cette double vie me rongeait aussi intensément que l’acide corrode le fer, et me conduisait inexorablement à la folie. Je montais dans ma chambre dès la célébration achevée, épuisé mentalement. Je saisis une image de papier reproduisant l’icône de la Sainte Trinité du peintre russe Roublev. Je me piquais le doigt avec la pointe d’un compas qui traînait sur mon bureau. Je traçais avec mon sang au dos de l’image : « Seigneur, je te donne ma vie, pour toutes les personnes homosexuelles du monde entier. » Brusquement je me sentis apaisé. Une passerelle était enfin jetée entre ma vie spirituelle et mon homosexualité, me permettant de donner un sens à cet écartèlement. Jésus est celui qui guéri et ma foi en serait l’exemple. Je serai le premier saint homo… (…) Je demeurais persuadé, à cette époque que la continence proposée aux homosexuels, religieux ou laïcs, était la seule issue possible. J’offrais donc ma vie pour faciliter leur chasteté.

(…) Six mois après mon entrée au postulat, je renonçais officiellement à poursuivre la voie monastique. (…) En quittant les carmes, je n’avais pas pour dessein d’abandonner l’habit monastique dans lequel j’étais si à l’aise. Je m’inventais donc un style qui prêtait à confusion. Je déambulais dans les rues de Montpellier pieds nus dans des sandales, une grande cape noire jetée sur les épaules et une lourde croix en bois bien visible sur la poitrine. Cet accoutrement était révélateur du personnage dans lequel je me complaisais. Il traduisait un véritable désir d’être reconnu comme serviteur de Dieu. (…) Mais il camouflait également ma souffrance, en revendiquant clairement le célibat attaché à la condition religieuse. Je n’avais plus à inventer l’existence d’une petite amie comme lorsque j’étais lycéen pour couper court aux rumeurs. Je m’autorisais ainsi, avec l’immunité conférée aux ecclésiastiques, à m’exonérer des critères hétérosexuels considérant le célibat comme un échec. À défaut de porter la soutane à laquelle je n’avais pas droit, j’entretenais le doute sur ma situation.

Après une période de transition de quelques mois, Jean-Michel va suivre, pendant un an, une formation dans une école d’évangélisation et de prière. Il entre ensuite au séminaire. Il a 22 ans.

« Studieux et chaste au séminaire, je me dissipais pendant les vacances scolaires. J’avais découvert que les saunas servaient de lieux de rencontre et je les fréquentais de manière totalement compulsive. Ma sexualité, mise entre parenthèses, explosait dès que je pouvais me relâcher.

Bien avant la fin de ses études, les autorités diocésaines l’autorisent à fonder une fraternité avec sept autres jeunes. Cela se révèlera un fiasco total au moins pour Jean-Michel.

Je sombrai peu à peu dans la dépression. Je me renfermai sur moi-même, participant de moins en moins aux activités. Je restais des heures durant en prière, à méditer sur la mort. (…) Mes parents vinrent me rendre visite et se rendirent compte de mon état. Ils en parlèrent avec le responsable de la communauté qui était parfaitement conscient qu’il fallait songer à me soigner. On m’envoya en conséquence chez un psychiatre, à Montélimar, un catholique pratiquant recommandé par le clergé. Je parvenais encore à m’exprimer et lui racontais les souffrances. « Cessez toute pratique homosexuelle et vous verrez, vous irez mieux tout de suite » fut sa conclusion. Je réintégrai la fraternité, atrocement démoralisé, l’esprit confus. Je souffrais de troubles psychologiques, accumulés par des années à tenter de faire cohabiter en moi l’homosexuel et le croyant. J’enveloppais cette crise profonde dans un emballage hautement spirituel et mes délires mystiques reprirent de plus belle. (…)

La fraternité multipliait les prières de délivrance. Et un des effets pervers fut de conforter mon délire mystique. Après tout, si le démon me malmenait, c’est que j’étais une personne d’importance. (…) Ces prières de délivrances ne furent d’aucune utilité, aussi, un jour, on me mit dans un train en direction de Paris, sous la surveillance pleine de sollicitude d’un des frères de la fraternité. Rendez-vous était pris avec un exorciste.

Le même rituel fut répété au moins cinq ou six fois sur Jean-Michel par ce même prêtre.
Lors de l’exorcisme auquel je me prêtais pour la seconde fois, il nomma avec beaucoup d’assurance le démon qui me tourmentait. Il s’appelait homosexualité. Nous n’avions plus affaire à une orientation sexuelle, réprouvée par l’Église si elle n’était combattue par la continence, qu’elle soit, selon ses partisans, innée ou acquise. Nous étions confrontés à un suppôt de Satan. (…) La scène aurait pu être cocasse si l’exorciste ne remplissait pas son office sur un jeune homme de vingt-cinq ans, isolé, physiquement et moralement épuisé, qu’il poussait irrémédiablement vers la folie.

Rapatrié dans sa communauté, ses frères font appel à un autre exorciste qui, plus avisé que le précédent, n’est pas convaincu du bien-fondé de ses interventions mais… les pratique quand même. Jusqu’au jour où Jean-Michel coule à pic. L’évêque préconise alors une cure de sommeil dans un hôpital psychiatrique de Nice. Alors qu’il s’apprête à franchir la porte de cet hôpital, une évidence s’impose à Jean-Michel :

« Si j’entre dans cet hôpital, je suis fichu. Tôt ou tard je ferai une crise et je me ferai interner pour de bon. Je vais mal, mais je ne suis pas fou. Je suis majeur. Personne, à part mes parents, n’a le droit de m’enfermer. Sauve-toi, Jean-Michel, avant qu’il ne soit trop tard ! »
Sans un mot d’avertissement à mes compagnons, je tournais les talons et me mis à courir. Je galopais dans les rues de Nice, échappant au massacre que l’on faisait de ma vie. Je reprenais physiquement pied dans le réel, à commencer par le sol en heurtant le bitume dont je ressentais la dureté à chaque foulée, à travers la semelle de mes sandales.

Jean-Michel prend ses distances avec l’Église. Il part à Paris où il est hébergé chez des amis.

Un soir, je quittais le sauna où j’avais été dragué et reprenais le chemin de l’appartement de mes amis. Ils n’étaient pas au courant du parcours chaotique qui était le mien depuis des mois. Je marchais dans le froid, fatigué. Je longeai le bord de la Seine, long ruban noir qui miroitait dans la nuit. L’eau m’attirait irrésistiblement. Une pente pavée descendait vers la berge. Je l’empruntai. Je restai immobile à contempler les reflets sombres. Ma vie n’avait plus aucun sens. Un pas et tout s’effacerait. Je pouvais laisser le fleuve m’engloutir à tout jamais. Un seul pas en avant…

« Ta vie, Jean-Michel, tu l’as donnée au Christ. Tu te souviens ? Elle ne t’appartient plus. » La petite voix qui résonnait en moi luttait fermement contre l’envie que j’avais de me suicider. Elle me rappelait une décision prise avec toute la sincérité de mon cœur. Malhabile, née dans la souffrance peut-être, mais que je savais être vraie. Une paix m’envahit. Une douceur apaisante qui réchauffa tout mon être. Elle me donna la force de résister et je me détournai du fleuve. Ce soir-là, je n’allais pas mourir. J’avais touché le fond et une impulsion venue du plus profond de mon cœur me projetait vers la surface.

« Je n’avais pas choisi, ni le don de la foi, ni mon homosexualité.
Mais je pouvais choisir de vivre sereinement… » (pp 106-164)

Jean-Michel reprend progressivement sa vie en main. Il cherche du travail et en trouve comme agent des services hospitaliers.

Les patients que je rencontrais tous les jours souffraient d’un cancer. (…) Mon quotidien m’amenait à les côtoyer régulièrement que ce fut pour servir un repas ou changer des draps souillés. Chaque décès m’ancrait un peu plus dans le réel. Il est difficile de tricher et de jouer un personnage lorsque vous croisez le regard de ceux qui vont mourir, particulièrement lorsque le malade condamné avait mon âge. À leur contact, je me dépouillais lentement de mes oripeaux spirituels. Ils n’imaginaient pas le chemin atypique qui avait été le mien et me considérait comme l’un des leurs. Ils ne passaient pas leur temps à citer les Saintes Écritures ou à discourir sur la dernière encyclique papale. Je découvrais une nouvelle simplicité dans les conversations et l’importance du quotidien, moi qui flottais jusqu’alors sur un nuage spirituel. J’apprenais avec les malades et mes collègues à les rejoindre sur leur route et non plus à imposer mes voies pavées de citations bibliques.

(…) Je déposais également les armes quant à la violence que j’aurais pu entretenir vis-à-vis de l’Église. La perversion spirituelle a ses bourreaux au sein de l’institution ecclésiale, j’en ai fait la douloureuse expérience. Cependant, à l’instar du frère Christian de Chergé qui reconnaissait la part sombre de son propre cœur, je n’ai aucun doute quant à ma propre implication dans ce parcours. J’ai largement contribué, en niant mon homosexualité, à l’enchaînement d’abus dont j’ai été victime. De plus je n’avais pas rencontré que des êtres spirituellement tordus au sein de l’Église. Loin de là ! (…) Il me fallait maintenant retrouver progressivement une place en son sein, mais à mon rythme et dépouillé de mes anciennes convictions. La soif de prière demeurait néanmoins intacte en moi. Malgré la fatigue physique et morale que je pouvais ressentir dans le cadre de mon travail, en sortant de l’hôpital, mes pas me menaient souvent vers une église, près de mon domicile. Je m’asseyais dans la pénombre d’une des petites chapelles, à peine éclairée par la lumière des bougies, et je priais.

(…) Le Dieu de l’Évangile n’est jamais indifférent à ce qui est humain. Mon humanité comportait cette attirance homosexuelle et elle n’empêchait pas le Christ de me toucher profondément. Je n’avais pas choisi, ni le don de la foi, ni mon homosexualité. Mais je pouvais choisir de vivre sereinement, de manière libre et responsable, ma démarche chrétienne dans mon corps homosexuel.

Alors qu’il travaillait depuis neuf mois comme aide-soignant, on propose à Jean-Michel un emploi comme éducateur de classe dans un collège jésuite de Montpellier. Il deviendra, par la suite, animateur en pastorale. Mais surtout il fait la rencontre de Frédéric… Ils fonderont ensemble « Communion Béthanie » : « communion d’alliance au service des personnes homosensibles et transgenres ».

Aujourd’hui encore, dans l’Église, je n’entends pas parler d’un amour homosexuel. Nous sommes largement informés de la « problématique homosexuelle » et des prises de position morale de chacun. (…) La beauté d’un amour entre homosexuels n’est jamais suggérée, à de rares exceptions près. (…) En outre nous sommes parfois interrogés crûment sur notre intimité. Lorsqu’une personne hétérosexuelle vous présente son (ou sa) partenaire, osez-vous l’interroger sur sa vie sexuelle ? Lui demanderiez-vous si elle est passive lors des débats ? Si elle est fidèle ou si elle multiplie les partenaires ? Ce sont pourtant des questions qu’on n’hésite pas à nous poser. Devons-nous, sous prétexte d’homosexualité, déballer notre vie privée ? Je réponds par la négative. L’homosexualité révèle une orientation sexuelle. Elle ne dit rien de nos aspirations affectives et de la façon dont nous souhaitons vivre notre sexualité.

C’est une des raisons pour laquelle dans la Communion Béthanie nous utilisons les termes d’« homosensible » et de « transgenre », afin de casser le carcan réducteur dans lequel on enferme des hommes et des femmes. L’amour est de toute beauté. Dans le lent chemin de guérison qui a été le mien, il a été salvateur : il m’a permis de ne plus me percevoir comme infecté par l’homosexualité, comme on peut l’être d’un virus.

Le 1er février 1992, Frédéric est entré dans ma vie. (…) Il est facile de dénuder son corps. Tout autre est le processus de dénuder son âme, de révéler ses failles. Progressivement, au contact de Frédéric, je me suis démasqué, j’ai révélé mes excès passés et ma foi qui demeurait intacte. (…) Avec Frédéric, j’expérimentais le fait que l’amour n’a pas la laideur d’une perversité sexuelle. Notre relation contribuait également à un retour à une existence normale. Ainsi, comme tous les couples, nous avons pris des vacances ensemble. L’été qui a suivi notre rencontre, nous sommes partis à Lourdes. Lors de ces quelques jours, Frédéric a manifesté une patience et une délicatesse qui m’ont permis de lui confier toutes les étapes de mon parcours chaotique. (…) Pendant ce séjour, je me suis aperçu que je pouvais visionner ma vie comme on le faisait d’un film. J’avais enfin le recul nécessaire pour en tirer les leçons et avancer sur ma route, car elle n’existe que par ma marche, pour reprendre les propos de saint Augustin.

(…) Certains prétendent que la relation entre homosexuels est fondée sur un narcissisme exacerbé. Miroir, mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle (ou le plus beau) serait ainsi le moteur de l’attirance pour l’autre sexe. Car dans le langage courant narcissisme est quasiment synonyme d’égoïsme. L’égoïsme n’est pas lié à une orientation sexuelle particulière. J’ai connu nombre de personnes qui se gargarisaient de textes sur l’amour tout en étant incapables de l’incarner dans leur vie de tous les jours. Pourtant l’amour se niche dans les petites choses du quotidien. J’établis en effet une distinction entre chasteté et continence. La continence, qui est le fait de ne pas avoir de relations sexuelles, peut être un choix, qui doit être dûment discerné, par exemple dans la vie monastique. Mais cela peut aussi être une contrainte et devenir un drame. Les raisons, très diverses, ne sont pas toujours faciles à circonscrire, comme dans le cas des détenus ou des grands malades. On peut vivre dans la continence sans être chaste et, malheureusement, je suis bien placé pour le savoir et pour témoigner autour de moi de la frustration et de la violence que l’abstinence sexuelle mal comprise ou non désirée peut engendrer.

Aimer chastement permet à l’autre de dire « je », de n’être pas exploité ou utilisé comme un objet. Que l’on soit hétérosexuel ou homosexuel. Car, je le dis haut et fort, je ne crois pas que Dieu appelle à la continence les personnes homosexuelles chrétiennes au même titre que ceux qui en font le choix par vocation religieuse. Mais il nous convie à poser sur autrui le regard chaste qui le respecte. Je souhaite que l’Église accueille pleinement les personnes homosensibles et transgenres afin de créer avec elles un véritable dialogue. Sinon comment tenir un discours en phase avec la réalité d’hommes et de femmes qu’elle ignore et tient à l’écart ? Que l’Église nous écoute et nous rencontre avec le regard du Christ.

Jean-Michel Dunand

1- Extraits de la 4ème de couverture. / Retour au texte