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16ème dimanche du temps ordinaire

Evangile de Jésus-Christ selon saint Marc
Mc 6, 30-34

Les Apôtres se réunissent auprès de Jésus, et lui rapportent tout ce qu'ils ont fait et enseigné. Il leur dit : « Venez à l'écart dans un endroit désert, et reposez-vous un peu. » De fait, les arrivants et les partants étaient si nombreux qu'on n'avait même pas le temps de manger. Ils partirent donc dans la barque pour un endroit désert, à l'écart. Les gens les virent s'éloigner, et beaucoup les reconnurent. Alors, à pied, de toutes les villes, ils coururent là-bas et arrivèrent avant eux. En débarquant, Jésus vit une grande foule. Il fut saisi de pitié envers eux, parce qu'ils étaient comme des brebis sans berger. Alors, il se mit à les instruire longuement.

Le miroir de la pauvreté
Michel Jondot

Reposez-vous un peu
Christine Fontaine

« Il fut pris de pitié »
Michel Jondot


Le miroir de la pauvreté

Attentes déçues

Un reportage du « Monde », il y a quelque temps déjà, parlait de la présence d’une soixantaine de garçons marocains, de 10 à 17 ans, trainant à Paris dans le quartier de la Goutte d’OR. Ils ont sombré dans la misère, la délinquance et la drogue. Le journaliste s'efforçait de comprendre les motivations qui les avaient conduits là. Ils étaient venus de Tanger où leurs parents avaient migré ; venant du fin fond de leurs campagnes vers la ville où sont implantées de nombreuses entreprises étrangères. Parqués dans des bidonvilles, ils travaillent 16 heures par jour pour un salaire de misère. Touchés par la souffrance de leurs parents et à leur insu, ils ont trouvé les moyens de pénétrer en cachette dans des cargos en direction de l’Europe afin de trouver un salaire susceptible de sauver les familles. Cruelle aventure ! Cruelles désillusions !

Cette attente au cœur de ces gamins est celle de plus de 2 milliards de personnes qui se trainent à travers l’univers. On en voit qui arrivent à nos frontières après avoir échappé aux menaces de la mer ou aux dangers des montagnes. Nous sommes incapables, et c’est peut-être normal, de faire face à ces attentes ; on ferme les portes pour ne pas voir. On a honte de cette misère près de Calais ou dans les quartiers de nos villes. Il faudrait la cacher !

Jésus vit une grande foule

Sans doute ce phénomène a-t-il existé en tous les temps. En tout cas, à en croire le texte de ce jour, il existait à l’époque de Jésus. Les foules se précipitaient auprès de lui et de ses amis ; on savait qu’il apportait le salut pour tous les blessés de l’existence : les muets retrouvaient la parole, les sourds se mettaient à entendre et les aveugles à voir, les paralysés devenaient capables de danser, les lépreux et tous les marginaux – les possédés comme on disait – reprenaient place dans la société, les parents en deuil sortaient de leur chagrin en voyant leurs enfants échapper à la mort. Quelle « bonne nouvelle » quand on apprenait qu’on le verrait sur son passage ! Le harcèlement était tel qu’il ne pouvait trouver le temps pour parler à ses disciples. Un jour, nous dit l’Evangile, il tenta de prendre ses distances : « Venez dans un endroit désert, et reposez-vous un peu. » Les attentes des foules était telle qu’on ne pouvait plus respirer ni manger. Mais la traversée de la mer de Tibériade elle-même ne pouvait les empêcher de le rejoindre : « Ils partirent pour un endroit désert pour se mettre à l’écart. » Vaine tentative ! Les attentes des pauvres ont déjoué la manœuvre. « Ils coururent là-bas et arrivèrent avant eux. En débarquant, Jésus vit une grande foule. Il fut saisi de compassion envers eux. »

Quand tout nous manque

« Il vit une grande foule… » Ce regard de Jésus est offert à notre méditation. Une phrase de Bernanos, un romancier assez mystique du siècle dernier, peut nous aider à comprendre. « Riches ou pauvres, dit-il, regardez-vous dans la pauvreté comme dans un miroir, car elle est l’image de votre déception fondamentale ; elle garde, ici-bas, la place du Paradis perdu, elle est le vide de vos cœurs, de vos mains. » En réalité, regardant le fond de notre condition humaine qu’il est en train d’épouser, il prend conscience d’un vide au fin fond de nos existences. Viendra le jour où rien ne pourra lui masquer cette pauvreté congénitale qu’il assume. Lorsqu’au jardin de Gethsémani, vint l’heure où le monde et l’entourage était comme une coupe vidée de ce qui apaise la soif, lorsque plus personne au monde ne pouvait ni ne voulait l’entendre, lorsque les yeux de ses amis eux-mêmes étaient fermés par le sommeil, lorsque le ciel lui-même ne répondait plus à ses attentes, lorsque l’angoisse fut telle qu’il en suait des gouttes de sang, lorsqu’il fit l’expérience d’un vide absolu, il reconnut dans ce manque le désir que le Père a de nous et auquel nul, en ce monde ne peut répondre sinon lui-même ; « Que ta volonté soit faite et non la mienne. »

Lorsque dans une vie humaine, tout fait défaut. Quand les besoins élémentaires ne peuvent plus être satisfaits, quand, par exemple notre santé est gravement menacée, quand on nous dit que les médecins ne peuvent plus rien pour nous, lorsque notre prière même butte sur le vide, quand tout nous manque nous sommes au lieu même que Jésus a vécu aux jours de la Passion.

Le désir de l’Autre

Malgré les difficultés de notre temps, nous sommes en France, à notre époque, à peu près assurés qu’en nous tournant vers autrui, nous pourrons manger et boire. Face à la maladie on peut faire appel à ceux qui pourront nous guérir. Quand le besoin s’en fait sentir, nous nous tournons vers celui ou celle qui pourra entendre nos demandes. Ainsi nous ne vivons pas seulement de pain, comme dit Jésus, mais de l’autre et, rencontrant l’autre, c’est l’amour que nous trouvons, c’est un Autre que nous cherchons, c’est l’Autre qui nous manque à travers nos démarches humaines et les échanges économiques qui façonnent ce monde, l’Autre qui ne cesse de nous manquer, l’Autre dont Jésus a discerné le désir au coeur de son angoisse.

Au temps de Jésus, en se tournant vers ce Galiléen, les foules trouvaient à la fois l’autre qui répondait mieux que personne à leurs besoins et l’Autre sans lequel nul ne peut vivre et que, sans le savoir, chacun désire. Jésus, pour sa part, regardant le désarroi tragique de cette marée humaine qui déferlait vers lui, pareil à des brebis perdues, reconnaissait le désir de l’Autre qu’ils cherchaient et de l’Autre qui les appelait.

« Jésus vit une grande foule. Il fut saisi de compassion envers eux » : quand on connaît le récit de la Passion, on peut comprendre cette compassion.

Nous voyons des foules à qui manque le nécessaire pour vivre : ils cherchent l’autre et frappent à sa porte, à notre porte. Il est peut-être vrai que nous ne pouvons les accueillir. Du moins reconnaissons en eux le miroir de notre propre pauvreté dont nous ferons nécessairement un jour l’expérience : « Riches ou pauvres, regardez-vous dans la pauvreté comme dans un miroir, car elle est l’image de votre déception fondamentale ; elle garde, ici-bas, la place du Paradis perdu, elle est le vide de vos cœurs, de vos mains. »

Michel Jondot


Reposez-vous un peu

Le repos

Après leur première mission, les Apôtres se réunissent autour de Jésus.
Ils se retrouvent enfin entre eux mais ils n’ont guère le loisir de se reposer : de fait, les arrivants et les partants étaient si nombreux qu’on n’avait même pas le temps de manger.

Combien de familles humaines, combien de communautés religieuses vivent ainsi, sans avoir jamais le temps de reprendre souffle ! Au nom de la charité ou de l’accueil, au nom de la militance ou au nom de l’amitié, nos familles, parfois, deviennent un lieu de passage incessant. Mais les membres de la famille n’ont même plus le temps de manger !

A ses apôtres, revenus de mission Jésus déclare : « Venez à l’écart dans un endroit désert et reposez-vous un peu. »
Jésus veut que ses familiers prennent le temps de se retrouver. Jésus aime ce temps où, à l’abri des étrangers, à l’écart de tous, une famille se reconstitue : « Partons à l’écart, dit Jésus, et prenons le temps de déjeuner ! Prenez le temps de vous reposer ! »

Les foules

Mais, les gens le virent s’éloigner, et beaucoup les reconnurent. Alors, à pied, de toutes les villes, ils coururent là-bas et arrivèrent avant eux.

« Reposez-vous un peu » avait dit Jésus. Mais le Fils de Dieu lui-même est pris au dépourvu. Il n’arrive pas à freiner le mouvement des foules. Il est débordé par ces hommes et ces femmes perdus, épuisés, angoissés, qui s’attachent à lui. Et, pris de pitié envers eux, parce qu’ils sont comme des brebis sans berger, il se met à les instruire longuement.

Même Jésus n’arrive pas à endiguer la foule qui le poursuit ! Comment pourrions-nous réussir là où il a échoué ? Il faut se reposer, nous le savons ; il faut qu’une famille prenne du temps pour se retrouver en toute intimité ; il faut qu’une communauté de croyants ait le temps de se reconstituer sans que des passants l’assiègent toujours. Il le faut ! Jésus l’a dit ! Mais il convient aussi de constater combien il est difficile de trouver ces moments de détente !

« Reposez-vous un peu » nous dit Jésus. Mais nous sommes pris au dépourvu et nous n’arrivons pas à endiguer ces foules qui nous assaillent : la foule des hommes mais aussi celle des soucis qui nous empêchent d’être présents à nos proches, d’être présents à notre Dieu !

La clôture

« Venez à l’écart, dans un endroit désert et reposez-vous un peu » avait dit Jésus. Ils partirent en barque pour un endroit désert à l’écart mais les foules les devancèrent.

Sur le rivage les foules s’agglutinent ; mais d’une rive à l’autre il reste cette barque qui permet de traverser le lac par un beau temps calme. Jésus donne à ses amis le repos promis : une barque où Jésus et ses disciples sont à l’écart de tous, une barque où, le temps d‘une traversée, les apôtres goûteront la présence du Maître, une barque où l’on peut se laisser porter au fil des flots, au gré de Dieu. Cette barque sera leur désert et leur champ-clos ; elle sera la clôture où ils se retrouveront entre eux et se laisseront réconforter par le Fils de Dieu.

« Venez à l’écart, dans un endroit désert et reposez-vous un peu » nous dit Jésus. Et comme en ce jour où les disciples traversent le lac seuls avec leur Maître, Jésus nous propose, au cœur de nos vies bousculées, ce lieu de repos avec lui. Il nous propose de ne pas manquer les occasions qui nous sont données de nous laisser porter au gré de Dieu, emporter en ce lieu intérieur où Dieu demeure. Hors des foules - de l’autre côté des soucis - à chaque croyant Dieu propose de vivre à l’intérieur d’un espace protecteur où, séparé de tous, vivant avec Dieu seul, notre équilibre se reconstitue !

Bousculés par la vie, nous rêvons parfois de partir seuls dans un désert. Mais celui-ci risque de nous demeurer aussi inaccessible qu’aux disciples de Jésus-Christ. Il ne nous restera, la plupart du temps, que des intervalles entre une activité et une autre, un déplacement en voiture ou une marche à pieds pour nous rendre d’un lieu à l’autre. Ce déplacement, si nous le voulons bien, peut en figurer un autre : celui où Dieu nous déplace vers lui, où il nous place en ce lieu où nous pouvons nous reposer sur lui. Alors jusque dans le travail et les activités les plus prenantes nous apprendrons à trouver le repos. Comme l’Eglise le chante à la Pentecôte, par l’Esprit qui nous est donné, nous trouverons « dans le labeur, le repos ; dans la fièvre, la fraîcheur ; dans les pleurs, le réconfort. »

Christine Fontaine

« Il fut pris de pitié »

La société est en danger

Face à ce texte, on aurait sans doute intérêt à relire, sur ce site « dieumaintenant », l’article de Jean-Luc Rivoire
« Des droits pour être humain ». L’auteur, un avocat spécialiste des affaires familiales, diagnostique le danger qui menace nos sociétés démocratiques. Les lois ne tombent plus d’en-haut ; c’est un bien. Les hommes y gagnent en liberté. Mais il y a un prix à payer. Lorsque la loi est la même pour tous, la société forme un ensemble cohérent. Soumis aux mêmes règles qu’on accepte parce qu’elles émanent d’une instance incontestable (Dieu et le Roi), les citoyens peuvent se rencontrer, se parler : en se référant aux mêmes principes, on réussit à s’entendre et à se comprendre. Mais lorsque chacun, comme c’est le cas dans nos pays et en notre temps, revendique des lois pour faire reconnaître son originalité, la cohésion sociale est en danger. On court le risque de voir les catégories d’individus se replier sur leurs intérêts personnels et se désolidariser de l’ensemble. La communication entre les uns et les autres risque de se bloquer. Lorsque la parole des uns ne peut plus rejoindre les soucis des autres, le sens est menacé. Nos sociétés ont à inventer les moyens d’une véritable cohésion.

Jésus vit une grande foule

Cette pulvérisation qui menace la société actuelle fait contraste avec ces rassemblements dont nous parle l’Evangile de Marc. La société palestinienne où vivait Jésus avait ses lois qui permettaient une vie commune. L’Empereur romain avait mis en place ses institutions et la loi de Dieu, la Torah, exerçait son influence sur tous. Les Grands-Prêtres et le Sanhédrin y veillaient. Les deux pouvoirs s’entendaient. Au moment du procès de Jésus, les fonctionnaires religieux ont ces mots révélateurs : « Nous n’avons d’autre roi que César ».

Quoi qu’il en soit du fonctionnement de ces institutions religieuses et politiques, au contact de Jésus une cohésion d’un autre type se manifeste. Jésus aurait souhaité prendre un peu de recul : « Venez à l’écart dans un endroit désert ». En réalité le lieu où Jésus se retire se transforme très vite. Il devient l’espace où un peuple advient. A pied, de toutes les villes, on accourt et on fait corps pour accueillir le charpentier qui débarque sur les bords du lac de Tibériade, loin du fonctionnement et de l’activité des villes. La diversité est grande et pourtant surgissent les paroles qui font sens pour tous : Jésus s’adresse à eux longuement au point que chacun en oublie le manger et le boire.

Quand on lit l’ensemble de l’Evangile de Marc, on n’a pas de peine à imaginer de quels genres de personnes, était formée cette société éphémère. Ceux qui viennent à lui sont les malades, les parents inquiets pour la santé de leurs enfants, les mamans en deuil, les femmes méprisées, les aveugles, les boiteux, les sourds et les muets. Quelques lépreux ont peut-être réussi, tout en restant à l’écart, à trouver leur place. A coup sûr ceux que la loi exclut, les pécheurs publics, sont parmi les premiers à s’être déplacés. En un mot, chacun de ceux qui composent la société qui advient sur les bords du lac porte une blessure. La souffrance que connaît chacun est ce qui les réunit. Jésus en a bien conscience ; à leur vue, nous dit-on, « il fut saisi de pitié ».

Jésus a su trouver les mots qui ont pu maintenir ensemble cette « grande foule ». Certains diront qu’on ne peut se maintenir longtemps en société lorsqu’on s’appuie sur ce qu’il y a de plus faible en chacun. Jésus lui-même n’a-t-il pas échoué ? On ne peut considérer que le procès de Jésus et la mise à mort qui s’en est suivie sont un échec. Il nous faut voir dans la Passion l’acte par lequel Jésus prend place au milieu de la multitude humaine. Il fait corps avec tous ; il devient, en vérité, l’un d’entre nous jusqu’à la fin des temps. Sa passion devient compassion ; la croix ouvre le chemin où nous devrions marcher si nous voulions vraiment une société nouvelle et humaine.

Inventer l’avenir

Verrons-nous un jour se lever un homme politique qui proposera une société qui reposerait sur cette compassion ? Il n’est pas utopique d’imaginer un monde où la priorité serait accordée aux plus démunis. Imaginons ce que serait un pays où le souci premier serait de faire face aux malades, aux handicapés, aux sans-abris, aux étrangers. Cela supposerait des efforts de recherche dont les résultats seraient sans doute fabuleux. Les architectes feraient des merveilles s’ils s’efforçaient de construire des bâtiments où la cohabitation avec les handicapés serait une vraie convivialité. Si plutôt que de fermer les frontières pour se protéger de l’étranger à la recherche d’un emploi, nous voyions s’établir entre les peuples une vraie coopération, le voisin, quelle que soit son origine, deviendrait un vrai frère. Nous avons plus de ressources que nous ne le pensons pour inventer l’avenir.

Utopie ? Peut-être. Mais si nous voulons entrer dans la recherche spirituelle qui s’impose à notre temps, sans doute faut-il passer par une sorte de révolution intérieure où chacun, plutôt que de faire valoir ses droits, change son cœur et se laisse prendre par les sentiments qui habitaient Jésus : « Il fut pris de pitié ».

Utopie ? Peut-être. Du moins celle-ci peut être vécue avec des non-croyants : « Le souci amoureux d’autrui, le soin de la terre, des jeunes, des malades, des handicapés, des vieillissants dépendants, sont des expériences intérieures qui créent des proximités nouvelles et des solidarités inouïes. Nous n’avons pas d’autre moyen que l’expérience intérieure pour accompagner les révolutions anthropologiques qu’annoncent déjà la course en avant des sciences, le laisser-aller des techniques et de la finance et l’impuissance du modèle démocratique pyramidale à canaliser les innovations. (…) Osons parier sur les capacités des hommes et des femmes à croire et savoir ensemble. »

Ainsi parlait Julia Kristeva, l’incroyante, lors d’une rencontre à Assise.

Michel Jondot