Il faut constater que cette manifestation est loin d’être une contestation homogène du gouvernement en place. Ils ne sont pas rares ces hommes et ces femmes, de droite
ou de gauche, qui, à l’instar de Madame Simone Veil, ont rejoint les foules pour faire entendre des soucis divers. Des mutations se produisent dans les relations ; des lois
s’élaborent pour poser des limites ; mais jusqu’où va-t-on s’aventurer ? Il est vrai que les amendements concernant la Procréation Médicalement Assistée, même s’ils sont
repoussés à plus tard, laissent présager des lendemains incertains. Ne peut-on craindre qu’on en vienne à faire du corps de la femme une force de production pour que les
couples masculins puissent, comme les couples féminins, se considérer comme de vrais parents ? La question est posée ; espérons qu’elle sera entendue.
Ceci dit, des hommes politiques ont exploité cette situation. Ils ont interprété l’événement comme une manifestation en faveur de leur propre camp, la droite. C’est le
jeu dans une société démocratique, direz-vous. Certes, et chaque citoyen est capable de discernement. Néanmoins, on peut regretter que l’Eglise de France ait donné
l’impression de répondre à un camp plus qu’à un autre. Etait-il nécessaire, pour défendre les valeurs familiales telles qu’ils les voient, que des évêques et des
curés donnent des instructions à leurs ouailles ? Les chrétiens ne sont-ils pas capables de juger par eux-mêmes? Etait-il nécessaire que le Cardinal Vingt-Trois descende
dans la rue pour soutenir les manifestants ? Beaucoup de nos concitoyens interprètent ce comportement comme un retour au temps où la France était divisée entre les cléricaux
et les républicains, entre les catholiques et les autres. Les responsables des autres confessions, des autres religions, ont exprimé leur position avec netteté.
Ils n’ont pas cherché ensuite à orchestrer la contestation des résultats des votes de 2012, en compagnie de certains politiques avides de revanche.
Par ailleurs, on peut s’interroger sur la manière dont la hiérarchie de notre Eglise est intervenue dans l’événement. Elle a fait pression avec force sur les fidèles.
Mais aucune concertation n’a été proposée, aucun débat à l’intérieur de l’Eglise (alors qu’on le réclame à l’extérieur !). Elle suppose qu’à un niveau anthropologique,
elle est « experte en humanité » et qu’il suffit de lui faire confiance. Soulignons que sa compétence est critiquée par des personnes non suspectes d’anticléricalisme.
Danièle Hervieu-Léger, dans le numéro du « Monde » du 12 janvier, analyse les contradictions dans lesquelles s’enlisent ses présupposés philosophiques. Pourquoi, dans
ce débat, ne pas avoir donné la parole à de véritables experts ? Non pour aboutir à des certitudes mais pour être à l’écoute d’un monde en pleine mutation et trouver
le chemin d’une parole neuve et heureuse, le chemin d’une Bonne Nouvelle.
Les catholiques ont été nombreux à se déplacer ; les communautés et les familles chrétiennes ont su pratiquer généreusement, pour cette occasion, l’hospitalité à l’égard
des provinciaux. Cette ferveur donne à espérer. La famille est en crise mais le problème ne se limite pas à celui de la filiation posé à propos du « Mariage pour tous ».
La force qui s’est exprimée, le Week-End dernier, saura peut-être se déployer partout où la famille est en danger: dans les cités de banlieue où des étrangers sont séparés,
pour des raisons administratives, de leurs conjoints ou de leurs enfants, dans les villes où l’on met à l’écart les enfants immigrés pour ne pas faire baisser le niveau
scolaire des classes privilégiées, dans les cantines scolaires où les familles ne peuvent payer le prix du repas, dans les municipalités où l’on refuse de construire des
logements sociaux. On pourrait, bien sûr, allonger la liste.
Un dernier appel à l’Eglise pour terminer. Puisse-t-elle se montrer accueillante à l’égard des formes nouvelles de famille qui vont apparaître ! Il est peu probable qu’elle
change ses principes ; on peut du moins souhaiter qu’elle aide chacun, quelle que soit sa situation, à entendre que l’Evangile est fait pour lui.
Nicodème