Je ne comprends pas qu'on puisse contester François Hollande sur la grâce totale accordée à Jacqueline Sauvage.
Parmi ceux qui contestent cette décision, on entend dire que la justice doit être la même pour tous et qu’il faut s’en remettre à ses jugements d’autant qu’il s’agit de la décision prise par un tribunal populaire. Mais la grâce totale (en l’occurrence la grâce présidentielle) n'est pas de l'ordre de la justice.
François Hollande, en procédant par étapes, a fait droit à la justice jusqu’au bout.
- Il a d’abord accordé une grâce partielle. C’était dire : “Je pense qu’il est bon de gracier cette femme mais je m’en remets à la décision du tribunal.” Sa décision a été invalidée par la justice au motif que Jacqueline Sauvage n’avait pas suffisamment conscience de sa faute. Dans le va et vient entre justice et grâce, la justice a eu alors le dernier mot. En passant d'abord par cette procédure de demande de grâce partielle François Hollande a honoré jusqu'au bout les décisions de justice.
- Il a ensuite posé un autre acte (autorisé par la constitution) mais qui ne relève plus du tout de la justice : la grâce totale. En l'accordant, François Hollande ne conteste pas le bien-fondé des décisions de justice; il ne conteste même pas le fait que Jacqueline sauvage n’ait pas suffisamment conscience d’avoir commis un meurtre. Il dit que la peine est JUSTE (en tout cas il ne la conteste pas) mais qu’en l’occurrence il est BON que Jacqueline Sauvage sorte de prison sans attendre la fin de sa peine.
La grâce totale est ce "par-delà la justice" qui signale ce sans quoi la justice ne tient pas. Le cas de Jacqueline sauvage est exceptionnel mais c’est aussi un rappel pour tous qu’une société est humaine quand elle se souvient que ce qui est juste n’est pas nécessairement ce qui est bon dans telle circonstance et pour telle personne. La grâce totale pose, au sein de la société, la possibilité d’un par-don inconditionnel. Sans cette possibilité une société peut être juste mais elle n’est pas humaine.
François Mauriac écrivait : "Ce qu'il y a de plus horrible au monde c'est la justice séparée de la charité." On peut effectivement parler de “charité” si ce terme n’était pas tant galvaudé. Mais il n'est pas nécessaire d'être chrétien pour penser que la grâce totale est nécessaire pour le fonctionnement d'une société. Jacques Derrida n'était pas chrétien et il était pour cette grâce comme inscrivant au sein d'une société le "par-delà toute justice" sans quoi la justice ne tient pas.
Certains disent encore : “ Je ne vois pas en quoi la grâce accordée à Jacqueline Sauvage fera reculer la violence faite aux femmes. Elle ne peut, et c'est une toute autre question, qu'encourager les gens, pour différentes causes, différentes raisons, à se faire justice eux-mêmes. Élargir à l'excès la notion de légitime défense.” A mon avis il est très important de ne pas mêler toutes les questions. La grâce totale n’a pas pour fin de faire reculer la violence faite aux femmes ni d’élargir la notion de légitime défense. L’histoire de Jacqueline Sauvage peut permettre que l’on se pose ces questions par ailleurs. Mais c’est un autre sujet qui lui concerne le droit français et non la grâce présidentielle.
Certains pensent aussi que c’est la médiatisation à outrance de l’histoire de Jacqueline Sauvage qui a permis d’obtenir cette grâce présidentielle et que d’autres, moins médiatisés, demeurent en prison. Mais je ne vois pas ce que cela retire aux autres que de savoir que cette grâce a été accordée à l’une d’entre eux. Au contraire, cela peut leur donner au moins un faible espoir que ce soit possible aussi pour eux...
Enfin certains accusent François Hollande d'avoir voulu finir en beauté en cédant à la pression de l’opinion publique et des media. Personnellement je trouve que, pour tenter d’avoir un jugement un peu libre, il faudrait aussi cesser de cultiver le Hollande bashing que l’on trouve sans cesse dans l’opinion public et les media. Je ne prétends pas ici juger de la politique que François Hollande a menée. Je trouve simplement que sur le point particulier de la grâce présidentielle accordée à Jacqueline Sauvage, il a bien fait.
Christine Fontaine
Peinture de Paul Klee