Andrea Mantegna (1431-1506), La mort de la Vierge
1460-vers 1464, bois, 54 x 52 cm
Musée du Prado, Madrid.
En 1460, Mantegna vient d’arriver à Mantoue et a décidé de mettre son art au service du duc de Mantoue qu’il ne cesse de servir jusqu’à sa mort en 1506. Il est âgé d’à peine 30 ans lorsqu’il commence ce tableau, qui accompagne celui de la Circoncision pour orner la chapelle du Castello di San Giorgio - aujourd’hui détruite - dont il a dessiné lui-même tout le décor.
Deux caractéristiques de cette composition sur bois, modeste en dimensions, font de cette œuvre un grand tableau.
Le paysage d’abord, sur laquelle s’ouvre la pièce où Marie vient de mourir, est un portrait, véridique et réaliste, de la ville de Mantoue, le pont San Giorgio notamment et la rivière Mincio. Nulle vraisemblance ne guide ici le peintre qui n’a en rien le souci de situer la mort historique de la Vierge dans le pays où elle a vécu. Mantegna déploie, dans son tableau, un regard, précis, subtil, sur cette ville où il vient de se fixer et qu’il ne quittera plus. Avec la Renaissance, dont il est un des grands participants, naît cette importance nouvelle accordée à la vision presqu’objective de l’univers qui nous entoure. Un peu plus tard, Leonard de Vinci fait l’éloge de l’œil humain et du « caractère divin » de la peinture car elle sait retranscrire, par le dessin et la couleur, les mille nuances des paysages que nos yeux découvrent. Et la révolution culturelle vécue lors de ce tournant du quattrocento marque durablement l’homme moderne, dans son entreprise scientifique, dans son ambition d’explorer fidèlement la réalité où il vit. La rationalité moderne, puis contemporaine, nourrit la structure de ce tableau, tant dans la rigueur de la perspective géométrique que dans l’équilibre même de la composition.
On reconnait les figures des apôtres, saint Pierre lisant les écritures, l’un tenant un vase d’onguent, d’autres des cierges. Au premier plan, c’est sans doute saint Jean qui manie l’encensoir. Ces apôtres, reconnaissables comme personnages sacrés à leurs auréoles mais aux visages, aux attitudes, aux expressions sobrement humaines, célèbrent de simples et ordinaires funérailles. Vieille femme reposant sur un catafalque rouge, Marie n’est pas ici, comme on la voit dans beaucoup de tableaux, représentée sous la forme idéalisée d’une sainte extraordinaire ou figurée dans la gloire de son Assomption. Elle est cette femme âgée qui participe de l’ordinaire de la vie humaine, interrompue par la mort. Et je lis dans cette peinture la densité d’un regard humain porté sur ce mystère banal de la mort, qui précède la résurrection et demeure comme un grand point d’interrogation : qu’est-ce donc que la vie, pour qu’elle soit à la fois merveilleuse, et limitée nécessairement par la mort ? pourquoi la mort fait-elle donc partie de la vie ?
Bien des siècles plus tard, Jacques Audiberti, le dit plus clairement que moi, avec une sagesse que l’alacrité de la poésie rend plus acceptable :
« Et quand j’écris la mort il faut lire la vie
Et quand j’écris la vie il faut lire la mort »
(Toujours, 1936).
Paul-Louis Rinuy