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Assomption 2022
Titien, L’Assomption de la Vierge, 1515-1518



Titien, L’Assomption de la Vierge, 1515-1518
huile sur panneau de bois, 668 x 344 cm, Venise, Basilique Santa Maria Gloriosa dei Frari.

Titien ou le Titien - Tiziano Vecellio 1488-1576 - est, avec Véronèse et le Tintoret, un des plus grands maîtres de la peinture à Venise dans ce XVIe siècle qui marque le début du déclin économique et militaire de la cité, mais voit surtout se développer son rayonnement. Tour à tour portraitiste et inventeur d’ambitieuses compositions religieuses et historiques, le Titien marque l’histoire par son sens de la couleur et des nuances, la finesse de ses analyses psychologiques et sa façon de représenter les visages, notamment féminins. Elève des grands maitres Giorgione et Bellini, il n’a pas trente ans lorsqu’il reçoit cette commande des franciscains et réalise ainsi le plus grand tableau d’autel de Venise, qu’on admire aujourd’hui encore dans son emplacement initial.

Malgré l’ampleur de la basilique franciscaine dei Frari à Venise, le regard du visiteur se porte rapidement sur cette monumentale pala - tableau d’autel -, où l’on découvre de multiples personnages plus grands que nature. Cette assomption associe la terre et le ciel en une composition en trois registres qui nous fait passer du monde terrestre à la figure de Dieu le Père, avec Marie au centre, entourée de tout un cortège d’anges.

En bas, le groupe des apôtres est tourné vers ce qui constitue le cœur du tableau, le mouvement ascendant de Marie vers le ciel. Marquant la surprise, l’ébahissement, l’incrédulité ou l’admiration, les gestes et les silhouettes sont finement différenciés et expriment toute une palette de réactions humaines devant cet événement extraordinaire. Il s’agit pour le jeune peintre qu’est alors le Titien de faire la preuve de son talent de portraitiste capable de caractériser des expressions multiples et d’emporter le fidèle dans une adhésion à la scène centrale. Ce que voient les apôtres les stupéfie, et leur étonnement devient comme une preuve en image, de la véracité de la scène. Nous y croyons, nous aussi, comme nous croyons au réalisme d’une scène au cinéma ou à la vérité d’une photographie de reportage.

Au centre, les anges et un ensemble de nuages semblent porter Marie et l’escorter vers le registre supérieur. La Vierge est monumentale, par ses vêtements notamment, et aspirée vers la figure de Dieu qu’elle regarde intensément. Le tableau matérialise le rôle particulier d’intercesseur de Marie, qui est conduite au ciel pour nous y emmener nous aussi. Marie se révèle non comme une créature mi-divine mi-humaine, ce qui correspondrait à d’autres croyances, mais comme la première d’entre nous, tous les êtres humains, dans la gloire de l’Assomption. Le Titien sait faire de ce visage singulier le lieu du passage de l’humain au divin.

Le registre supérieur, enfin, voit, dans l’arrondi de la toile, Dieu le Père en personne dominer toute la composition, et c’est sans doute la figure qui parait aujourd’hui la plus datée, dans son anthropomorphisme démodé. Dieu n’est pas pour nous ce vieil homme barbu, et je doute d’ailleurs qu’il l’ait réellement été, autrement qu’en convention picturale, au XVIe siècle. L’humanité et la douceur de Dieu, sa bienveillance, sa fragilité, toutes ces qualités auxquelles les théologiens contemporains prêtent aujourd’hui attention, ne signifient pas que nous acceptions de lui attribuer une apparence humaine.

Mais comment, sans ce « pieux mensonge », représenter la montée au ciel - formule elle aussi métaphorique - de Marie ?
Le chef d’œuvre suscita en tout cas l’étonnement, puis l’admiration, et ravit, dans tous les sens du mot, les fidèles. Il les emporta, les « embarqua », dans cette histoire sainte comme il peut nous marquer nous aussi aujourd’hui.

A la fin du dernier roman de Michel Houellebecq, Anéantir, le personnage de Prudence, désenchantée mais finalement pacifiée affirme : « nous aurions eu besoin de merveilleux mensonges ». La peinture du XVIe siècle a joué, à sa manière, ce rôle-là.

Paul-Louis Rinuy

En bas, le groupe des apôtres est tourné vers ce qui constitue le cœur du tableau, le mouvement ascendant de Marie vers le ciel. Marquant la surprise, l’ébahissement, l’incrédulité ou l’admiration, les gestes et les silhouettes sont finement différenciés et expriment toute une palette de réactions humaines devant cet événement extraordinaire. Il s’agit pour le jeune peintre qu’est alors le Titien de faire la preuve de son talent de portraitiste capable de caractériser des expressions multiples et d’emporter le fidèle dans une adhésion à la scène centrale. Ce que voient les apôtres les stupéfie, et leur étonnement devient comme une preuve en image, de la véracité de la scène. Nous y croyons, nous aussi, comme nous croyons au réalisme d’une scène au cinéma ou à la vérité d’une photographie de reportage.



Au centre, les anges et un ensemble de nuages semblent porter Marie et l’escorter vers le registre supérieur. La Vierge est monumentale, par ses vêtements notamment, et aspirée vers la figure de Dieu qu’elle regarde intensément. Le tableau matérialise le rôle particulier d’intercesseur de Marie, qui est conduite au ciel pour nous y emmener nous aussi. Marie se révèle non comme une créature mi-divine mi-humaine, ce qui correspondrait à d’autres croyances, mais comme la première d’entre nous, tous les êtres humains, dans la gloire de l’Assomption. Le Titien sait faire de ce visage singulier le lieu du passage de l’humain au divin.



Le registre supérieur, enfin, voit, dans l’arrondi de la toile, Dieu le Père en personne dominer toute la composition, et c’est sans doute la figure qui parait aujourd’hui la plus datée, dans son anthropomorphisme démodé. Dieu n’est pas pour nous ce vieil homme barbu, et je doute d’ailleurs qu’il l’ait réellement été, autrement qu’en convention picturale, au XVIe siècle. L’humanité et la douceur de Dieu, sa bienveillance, sa fragilité, toutes ces qualités auxquelles les théologiens contemporains prêtent aujourd’hui attention, ne signifient pas que nous acceptions de lui attribuer une apparence humaine.



Mais comment, sans ce « pieux mensonge », représenter la montée au ciel - formule elle aussi métaphorique - de Marie ?
Le chef d’œuvre suscita en tout cas l’étonnement, puis l’admiration, et ravit, dans tous les sens du mot, les fidèles. Il les emporta, les « embarqua », dans cette histoire sainte comme il peut nous marquer nous aussi aujourd’hui.