Nous décidons d’ignorer les caricatures
Il faut le reconnaître, quand on dessine des caricatures méprisantes pour notre Prophète nous en sommes blessées. « Nous » ne signifie pas seulement les femmes de l’atelier de la Caravelle mais, à notre avis, tous les musulmans. Si vous entendez quelqu’un insulter votre sœur, par exemple, pouvez-vous dire que vous aimez ? Le Prophète est cher pour nous. Cependant nous savons que nous sommes dans un pays de liberté d’expression et nous aimons cette liberté que nous trouvons en France. Sur le moment, quand des caricatures paraissent une fois de plus, nous nous demandons pourquoi ils continuent à faire cette sorte de dessins. Puis nous dépassons cette blessure en pensant que le Prophète est bien au-dessus de ces caricatures et que personne ne peut le détrôner.
Un jour quelqu’un est venu dire à mon grand père que quelqu’un l’avait insulté. Il a répondu : « Voyez-vous la trace de ses coups sur mon corps ? Si je n’attache pas d’importance à cette insulte, elle s’envole. Elle n’est pas collée à mon corps comme le serait une blessure physique… sauf si je la laisse pénétrer en moi. » Une insulte fait mal, mais avec le temps elle va s’oublier si tu n’y attaches pas trop d’importance. Elle blesse sur le moment mais après elle s’envole. Le Prophète nous a d’ailleurs donné l’exemple car lui-même a été méprisé. Pendant la période du Prophète, des personnes l’insultaient et il ne répondait pas. Par exemple, pendant longtemps il a trouvé chaque jour devant sa porte un tas d’ordures. C’était un juif qui les déposait. Un jour, en ouvrant sa porte, il n’a pas trouvé les ordures habituelles et il s’en est non seulement étonné mais inquiété : peut-être ce juif était-il malade… Il a demandé de ses nouvelles et effectivement on lui a dit qu’il était souffrant. Alors le Prophète lui a rendu visite. Si le prophète agit ainsi, nous les musulmans nous n’allons pas nous offusquer de ce qu’on dit de lui !
Oui, les caricatures sont blessantes pour nous. Mais le mieux, à notre avis, est de les ignorer. Nous en parlons entre nous mais nous évitons d’aborder le sujet en public parce que toutes les musulmanes de réagissent pas toujours comme nous. Nous évitons les sujets qui risquent de poser trop de problèmes.
Nous ne pouvons pas les ignorer !
Même si nous sommes toutes françaises sur les papiers, la France n’est pas notre pays d’origine. En venant y habiter, nous avons consenti à suivre les lois de ce pays. Qui suis-je pour dire aux gens qu’il faudrait dire ceci et pas cela ? Si on est contre la liberté d’expression, il ne faut pas vouloir vivre en France car cette liberté fait intimement partie de la culture française. On y a le droit de caricaturer le Prophète mais aussi d’autres religions comme le christianisme. Le Christ aussi a été caricaturé par Charlie Hebdo, il faut le reconnaître. Cependant il faut aussi reconnaître que lorsqu’il s’agit d’une autre religion, les media n’en font pas la une et c’est là toute la différence. Il y a eu une couverture de Charlie Hebdo qui montrait le Christ en croix dans une position grotesque et indécente. Certains nous disent que les chrétiens sont plus ouverts que nous puisqu’ils ne protestent pas contre ce dessin. Mais imaginez que cette couverture soit diffusée à longueur de journée sur BFMTV, LCI et Cnews. Imaginez qu’elle soit reproduite sur les façades d’édifices publics et que vous soyez obligés de passer à travers elle pour entrer par exemple sur l’Hôtel de Région du lieu où vous habitez… Les chrétiens seraient-ils encore plus ouverts que nous ?
Le problème n’est pas que des caricatures du Prophète soient dessinées mais qu’on nous oblige à les voir. Si elles n’étaient diffusées qu’auprès des lecteurs du journal, il nous suffirait de ne pas l’acheter pour les ignorer. La liberté d’expression de Charlie Hebdo ne nous gênerait pas du tout. Mais quand elles sont diffusées partout, nous ne sommes plus libres de ne pas les voir. La liberté des dessinateurs ne s’accompagne plus de la liberté de ne pas regarder leurs dessins. On nous impose la liberté d’expression des dessinateurs et, si nous protestons, on nous traite d’intégristes qui refuseraient les lois de la république pour mettre à leur place les lois de l’islam. Devant de tels arguments, il ne nous reste plus qu’à nous taire. La liberté d’expression des uns nous impose de garder le silence.
A notre avis, la liberté d’expression des uns devrait permettre celle des autres ou s’arrêter là où commence celle des autres. Il faut aussi être attentifs à ne pas blesser. Musulmans ou non, nous sommes tous des humains.
Nous sommes victimes des caricatures
On nous dit que ces caricatures ne sont pas contre les musulmans mais contre les intégristes qui font des attentats au nom de l’islam. Mais pour nous ces personnes ne sont pas musulmanes. Ce sont des psychopathes qui usurpent le nom de l’islam. Nous avons pleuré lors des attentats. Nous avons pleuré quand nous avons appris la décapitation du professeur. Nous sommes les premières à dénoncer ces comportements meurtriers et complètement fous.
Il faut cependant que vous sachiez que, quoiqu’en disent les caricaturistes, ce qu’ils font retombe sur tous les musulmans. Nous sommes intégrées en France. Nous respectons la loi, la République et tout ce qu’il faut respecter. Mais il faut que vous vous souveniez que ce n’est pas pour autant que nous sommes acceptées. Il y a en France, et de plus en plus, un certain nombre de personnes qui ne veulent pas de nous, non parce que nous serions intégristes mais simplement parce que nous sommes musulmans… à moins que ce ne soit parce que nous sommes arabes. Je vais vous raconter une histoire qui m’est arrivée récemment et dont je croyais qu’elle n’arrivait qu’aux autres. Je traversais la rue tranquillement. Une grosse voiture qui était très loin s’est mise à accélérer en klaxonnant pour me barrer le passage. J’ai dû reculer pour ne pas être écrasée et au moment où la voiture m’a dépassée, le chauffeur à fait le signe de vouloir me décapiter. Pourtant je ne porte pas le voile, je m’habille comme n’importe quelle française et je portais un masque. Mais à mes yeux ou à mes cheveux, il a reconnu que j’étais arabe ! J’en ai été totalement sidérée. Je ne croyais pas que cela pourrait un jour m’arriver !
Alors quand on nous dit que ceux qui font les caricatures n’agissent pas contre nous mais contre les intégristes, il faudrait qu’on comprenne que c’est bien nous qui en subissons les conséquences. C’est nous qui avons peur de traverser la route. C’est nous qui craignons de sortir de chez nous. Nous pouvons accepter que l’on insulte le prophète mais nous ne sommes pas d’accord sur les conséquences que ces caricatures ont sur nous. Ce sont tous les musulmans qui en font les frais. Nous trouvons normal que la France se défende contre l’intégrisme musulman et évidemment contre les terroristes qui font des attentats. Mais il faut savoir que le fait de le faire en caricaturant le Prophète incite de plus en plus de français à se retourner contre tous les musulmans. Au point que, lorsqu’un attentat ou un crime a lieu, nous guettons le fait de savoir s’il n’a pas été commis par un musulman et, si ce n’est pas le cas, nous poussons un ouf de soulagement. En même temps que nous pleurons pour les victimes de l’attentat, nous sommes soulagés parce que si c’est un musulman qui l’a commis… nous aussi nous allons être les victimes de son acte.
Avant, nous constations déjà que certains français ne nous aimaient pas mais ils se cachaient plus ou moins pour le dire. Le fait de publier et de diffuser largement ces caricatures semble les autoriser à le faire. Ceux qui font signe de vouloir nous égorger appellent-ils cela la liberté d’expression ? Nous l’ignorons mais en tout cas, nous pouvons témoigner que ces caricatures accentuent le climat de haine à notre égard. Ce n’est bon ni pour les musulmans ni pour la France. Au point que nous nous demandons pourquoi ils continuent à faire ce genre de caricatures. Elles font beaucoup de morts et beaucoup de victimes par répercussion. Qu’ils l’aient fait une première fois, nous pouvons le comprendre parce qu’ils ne mesuraient peut-être pas quelles en seraient les conséquences. Mais pourquoi continuent-ils alors qu’ils savent maintenant quel climat de haine ils suscitent ? Même si ce n’est pas ce qu’ils veulent – et ce n’est sûrement pas ce qu’ils veulent – cependant c’est quand même une conséquence de ce qu’ils font. Cela fait du mal à tout le monde, alors pourquoi continuer ? Nous sommes vraiment pour la liberté d’expression mais, quand elle a pour conséquences tant de morts et de victimes collatérales, nous nous demandons : « C’est quoi au juste l’expression qu’ils veulent faire passer ? » Nous ne savons pas. Et faute de pouvoir le comprendre nous nous disons que tout cela doit être… une affaire de politique… qui nous dépasse !
Des femmes de la Caravelle