« La liberté absolue de croire comme de ne pas croire »
Le discours du président Macron aux évêques catholiques de France, au collège des Bernardins le 9 avril 2018, a été vivement critiqué comme une atteinte à la laïcité (1). Le but apparent du discours était de réparer une quelconque brèche entre l’État et l’Église catholique de France. Rien que de parler du catholicisme dans son contexte historique — et en citant le sacrifice du colonel Arnaud Beltrame — a valu au président Macron les accusations de trahir la République. De droite comme de gauche, on n’a pas hésité à tirer à boulets rouges sur ses propos (2).
Ces critiques démontrent en quelque sorte qu’Emmanuel Macron avait raison de dire « Mon rôle (de chef d’État) est de m'assurer qu'il ait la liberté absolue de croire comme de ne pas croire mais je lui demanderai de la même façon et toujours de respecter absolument et sans compromis aucun toutes les lois de la République. C'est cela la laïcité ni plus ni moins, une re`gle d’airain pour notre vie ensemble qui ne souffre aucun compromis, une liberté de conscience absolue… »
Cependant, ses critiques qui insistaient sur « la loi de 1905 et rien que », soit ne connaissent pas cette loi et son historique, soit ont une fausse idée de la laïcité. Le mot signifie le droit de conscience — « la liberté absolue de croire comme de ne pas croire ». On pourrait critiquer le discours du chef d’État sur d’autres points, mais puisque je n’y ai pas été invité en tant qu’évêque anglican, je me passe d’en faire.
Dans un livre récent (3), j’ai postulé avec mon co-auteur que la laïcité est bien trop souvent comprise comme une relégation du religieux à la vie privée, qui se traduit en fait par un établissement de l’athéisme comme religion de la France. Pourtant, tout être humain doit répondre à des « préoccupations ultimes », pour reprendre l’expression du théologien germano-américain Paul Tillich. C’est-à-dire des sujets comme le sens de la mort, de l’identité, de la vérité des choses, et ainsi de suite. Puisque le mot « religion » signifie « lier ensemble », nos réponses à ces questions — intimes, personnelles — sont religieuses, car elles forment la trame de fond de notre attitude basique à la vie.
« L’athéisme est aussi une réponse religieuse »
C’est-à-dire, nous sommes tous religieux. En termes anthropologiques, c’est essentiel à l’espèce Homo sapiens que tous ressentent une certaine intimation du sacré, et ce même si ce n’est pour conclure que ce sentiment, et les questions qu’il soulève, n’ont aucun sens. Ce sens du sacré est l’un des aspects de l’humanité qui nous distinguent des autres animaux.
Il va de soi que nos convictions doivent se traduire par nos actes et nos paroles. Autrement nous sommes des hypocrites. Ce mot signifie en grec « passer sous jugement ». Notre hypocrisie, notre malhonnêteté, se juge d’abord par nos propres croyances formées par nos réactions aux préoccupations ultimes. Alors il est impossible d’insister sur la relégation du religieux à la sphère purement privée.
Le fait que nous sommes tous religieux, ayant tous le besoin de trouver des réponses personnelles et intimes à des préoccupations ultimes vitales — des réponses qui évoluent, en plus — exige un droit de conscience, une liberté fondamentale de la religion. Autrement dit, la laïcité. Si l’on veut éviter l’hypocrisie il faut parler et agir selon ses convictions. Donc la laïcité est essentielle pour l’expression publique de la religion individuelle de tout un chacun.
Pourtant, environ 40% des Français se caractérisent comme n’ayant aucune religion. Et c’est ici que le bât blesse. Car l’idée trop répandue de la laïcité est qu’elle interdit toute discussion sur des bases d’une religion ou d’une autre. Mais l’athéisme est aussi une réponse religieuse. Ce qui nous amène au dilemme actuel, en cette époque de terrorisme islamiste : comment comprendre la laïcité pour qu’elle protège et le bien commun et une véritable liberté de conscience.
La réponse de notre livre est l’éducation. Il faut d’abord connaître l’histoire du développement de la laïcité, ce concept on ne peut plus français. La pratiquer requiert une formation de base. J’ai le besoin de trouver mes propres réponses aux grandes questions de la vie. Donc j’ai un droit de conscience. Si je possède ce droit, il en est ainsi pour autrui. Si l’autre doit respecter mon droit, je dois respecter le sien. Vivre la laïcité — le droit de conscience — est l’affaire et le devoir de tous les Français.
C’est facile à dire. Mais on doit considérer qu’Emmanuel Macron a aussi le devoir d’exprimer ses croyances, en évitant ni d’enfreindre à la loi 1905 ni en faisant l’hypocrite.
Mgr Pierre Wahlon
Évêque en charge des Églises épiscopales en Europe depuis 2001, Mgr Pierre Whalon détient la double nationalité française-américaine.
Peinture de Maurice Utrillo
1-http://www.elysee.fr/declarations/article/transcription-du-discours-du-president-de-la-republique-devant-les-eveques-de-france/ - Retour au texte
2-https://www.huffingtonpost.fr/2018/04/09/melenchon-fustige-lirresponsabilite-du-sous-cure-macron-qui-veut-reparer-le-lien-entre-leglise-et-letat_a_23406960/ - Retour au texte
3-Jean-Michel Cadiot and Pierre Whalon, Laïcité : l’expression publique de la religion (Paris : ATF France, 2018) / Retour au texte