De quoi parlons-nous entre nous,
tandis que nous avançons ensemble sur le chemin de la vie ?
De nos déceptions.
Nous attendions le bonheur. C’est l’horreur qui est venue à notre rencontre.
Nous n’avons été épargnés,
ni dans l’intimité de la maison, ni sur la place publique.
Pourtant, puisque nous parlons, puisque nous sommes en route,
quelqu’un d’autre est là, entre nous, en tiers, en lien.
Il ne se confond pas avec les mots de nos phrases.
Il va toujours plus loin que l’endroit où nous arrêterions volontiers notre marche,
au-delà de notre peur et de notre désarroi.
Mais nous le méconnaissons.
Nous convaincra-t-il que nous avons mieux à faire qu’à nous fixer
sur les démentis cruellement apportés à nos illusions par la violence du temps ?
Nous persuadera-t-il de recueillir, dans l’entretien qui nous unit,
la trace vive et brûlante d’une parole qui proclame
la douloureuse et triomphale annonce de sa victoire et de la nôtre ?
Changerons-nous cette annonce en un viatique,
comme on reçoit du pain pour le voyage,
un pain rompu, brisé, mais qui nourrit les affamés ?
Le compagnon avec lequel nous allons, tous ensemble,
ne se dérobe qu’à la lenteur du pas de notre foi, qu’à la folie de notre pensée,
quand nous préférons le désespoir à la traversée de la nuit.
Mais si vraiment nous parlons entre nous,
comme des vivants qui s’écoutent les uns les autres,
au lieu de se complaire dans leurs songes de toute-puissance,
alors, il est là, et le chemin que nous écrivons sur la terre
s’ouvre ici même, dans le secret, en gloire.
Mais qui est-il donc, celui-là ?
Il est celui dont nous faisions l’objet de notre conversation,
celui dont l’anéantissement dans la mort nous importait moins, en définitive,
que l’humiliation que son échec infligeait à nos rêves.
Nos yeux étaient empêchés de le voir, parce que notre regard,
après s’être posé sur lui, peut-être, comme un passant,
ne l’avait pas suivi jusqu’où il allait et où il nous entraînait,
pour y entrer avec nous.
Quand nous le retrouvons, heureusement, il nous échappe encore,
nous ne pouvons pas le détenir.
Mais cette fois, nous ne le perdons plus.
Il est parti en se donnant.
Où est-il donc ?
Dans notre cœur, en nous, maintenant, et entre nous, pour toujours.
Guy Lafon