Page d'accueil Nouveautés Sommaire Auteurs
Retour à "Ouvertures sur la beauté" / Retour à "Fêtes liturgiques" Contact - Inscription à la newsletter - Rechercher dans le site

Noël 2020
Prosper Legault, Bienvenue en ville

(2)Commentaires et débats



Bienvenue en ville, bienvenue à Jésus
Prosper Legault
Église saint Eustache, Paris

Dans la sombre nef de l’église saint Eustache à Paris ce soir de décembre, un tohu-bohu de couleurs et de lumières, rock et baroque, interpelle le visiteur. Une croix de pharmacie, une enseigne de maison de la presse, une étoile, un bœuf, un âne, un monstre sorti d’on ne sait quel film d’animation, une tente de SDF, un caddy, et des néons, des néons qui pleuvent à ne plus que savoir en faire de la voûte gothique. Tout ce vacarme d’illuminations, opposées au calme du lieu, rappelle la violence de la rue, du quartier du monde. Il se passe quelque chose, décidément ! L’intervention de Prosper Legault est d’abord cet improbable événement plastique, qui annonce un avènement, tout aussi improbable même s’il ne cesse d’avoir lieu depuis 2000 ans.

L’habitude s’est prise au fil des années, dans cette église du quartier des Halles, de confier à de jeunes artistes de l’Ecole des beaux-arts la réalisation de la crèche. Dans ce lieu, Prosper Legault innove en choisissant un emplacement inédit, différent des années précédentes, et une construction visuelle à effet maximal. C’est au revers de la grande porte de l’édifice qu’il a choisi de placer sa construction, tonitruante et fragile. « Bienvenue en ville », peut-on lire en lettres de lumière : ce campement de bric-à-brac renvoie à ce mirage d’eldorado qui attire des foules de migrants en quête d’hospitalité et de nourriture. Ceux-là même ou d’autres, anciens et nouveaux pauvres de la crise économique qui enfle, auxquels est servie quotidiennement la Soupe Saint-Eustache, sur le parvis de l’église, de l’autre côté du mur justement.

Drôle de crèche pour un drôle de lieu, pour cette église du Moyen Age qui jouxtait autrefois le « ventre de Paris » et côtoie aujourd’hui aussi bien le luxe de la collection François Pinault à la Bourse de Commerce que l’agitation d’une foule bigarrée et socialement disparate. Si on ne voit pas trop où, dans cet abri de fortune, ou d’infortune plutôt, pourra être placé Jésus au soir du 24 décembre, l’âne et le bœuf, dessinés d’après des vitraux de Notre Dame, cadrent l’espace, et les rois mages sont déjà là qui apportent leurs marrons chauds ou des fruits vendus à l’étal d’une boutique précaire, tandis que les personnes de Joseph et Marie brillent par leur absence. Et ce monstre en arrière-plan, véritable Hérode moderne, condense l’opposition entre l’ombre et la lumière, ces forces antagonistes qui traversaient la Palestine d’il y a 2000 ans comme elles déchirent notre planète aujourd’hui.

Cette crèche introduit le vacarme du monde à l’intérieur de l’église, elle unit ces deux univers et fait surgir l’actualité brutale dans l’histoire sainte. Plus que représenter la scène, elle la présentifie, la rend présente, actuelle. « Réinterpréter la nativité du Christ, confie Prosper Legault, me force à penser aux plus démunis qui dorment dans des abris de fortune, qui essayent de gagner de quoi se nourrir en vendant des marrons, des souvenirs ou des bouteilles d’eau. »

Dans l’espace clos de l’église ce « poème de rue » de Prosper Legault métamorphose les restes abandonnés de la ville lumière pour leur donner une vie nouvelle, tout autre. Dans les brisures d’un monde en pacotille se recompose un univers. Où chacun cherche une place. Et la trouve, peut-être ! Bienvenue en ville, bienvenue à Jésus : la formule sonne-t-elle aujourd’hui, comme un vœu, pieux évidemment, une réelle parole d’accueil ou une douloureuse antiphrase ?

Paul-Louis Rinuy


















Drôle de crèche pour un drôle de lieu...
Cette crèche introduit le vacarme du monde à l’intérieur de l’église,
elle unit ces deux univers
et fait surgir l’actualité brutale dans l’histoire sainte...
Dans les brisures d’un monde en pacotille se recompose un univers.
Où chacun cherche une place. Et la trouve, peut-être !
Bienvenue en ville, bienvenue à Jésus :
la formule sonne-t-elle aujourd’hui, comme un vœu, pieux évidemment,
une réelle parole d’accueil
ou une douloureuse antiphrase ?

Paul-Louis Rinuy