Matisse,
Chapelle de Vence, 1947-1951
« Je vais construire votre chapelle », promet en 1947 aux dominicaines de Vence un jeune homme de 78 ans, Henri Matisse. Le peintre se sent, depuis une grave opération suivie d’une longue convalescence en 1941, bénéficier d’une « seconde vie ». Et, dans sa villa qui s’appelle « Le Rêve » ou dans son atelier de l’hôtel Regina, Matisse passe quatre années à réaliser les plans, les vitraux et les dessins sur carreaux de céramique de la Chapelle, consacrée en juin 1951. Son chef d’œuvre, la quintessence de son cheminement artistique.
Dans cet ensemble la Vierge à l’enfant se distingue par sa majestueuse évidence. Entourée de l’extraordinaire Chemin de croix et d’un portrait de saint Dominique où l’on reconnait le rénovateur de l’art sacré contemporain que fut le père Couturier, Marie se dresse dans la simplicité d’un dessin aussi décisif qu’évocateur. On connait plusieurs esquisses de cette œuvre, à la plume, au pinceau, au fusain qui restent toutes anecdotiques. La puissance de l’expression tient à sa sobriété. Le dessin se fait litote, exercice matériel et spirituel du dépouillement. Des esquisses premières, qui sont des représentations gracieuses d’une jolie mère à l’enfant, à l’œuvre finale, tout s’est joué dans la réduction à l’essentiel, à la pureté du trait. En ce visage ouvert de la mère de Dieu comme de son fils, chacun peut à loisir projeter ses rêves, ses souvenirs, ses désirs. Et le trait souverain dessine le corps, donne à voir comme une plénitude charnelle. L’incarnation tient à la puissance suggestive de la ligne. Presque rien donne à voir presque tout.
Même si nous ne sommes pas ici face à une scène de Nativité et n’assistons pas à la naissance de Jésus dans une crèche à la saint François, cette composition marque pour moi Noël dans sa valeur cardinale. Jésus, vrai Dieu vrai homme, porté par sa mère ouvre les bras en croix, comme la naissance de Jésus ouvre une histoire nouvelle. Histoire d’une vie, toute puissante dans sa fragilité, dans sa capacité à accepter d’être brisée, fractionnée, partagée. Le miracle de Noël je le vois dans le croisement de cette stature verticale et de ces bras à l’horizontale. Dans le croisement, d’année en année, de l’éternité de Dieu et de notre temporalité humaine.
Une simple ligne noire sur fond blanc nous introduit à la plénitude d’un monde coloré, charnel, émouvant. Où des nuages fleurs nous font vivre la tête dans les étoiles et les pieds bien sur terre.
Paul-Louis Rinuy