Jean Bazaine (1904-2001), La confirmation 1969,
vitrail réalisé avec le maitre verrier Henri Déchanet (1930-2019),
église saint-Séverin, Paris 5e.
Dès qu’on entre dans l’église gothique Saint-Séverin (Paris 5e), on aperçoit dans le fond, à travers une forêt de piliers derrière le chœur, un vif embrasement de couleurs, de lignes, de rythmes qui flamboient dans l’obscurité de l’espace. Par-delà la croix et l’étrange colonne torsadée au centre du déambulatoire, les modulations bleues de la double baie axiale ouvrent une profondeur marquante, tandis qu’à droite comme à gauche se déploient les tonalités multiples des vitraux chatoyants en lumières-couleurs. Jean Bazaine a déjà 60 ans lorsqu’en 1964 le curé du lieu, Alain Ponsar, lui passe commande de huit vitraux sur le thème des sept sacrements. A ce programme, qui aurait pu donner lieu à un ensemble de figures catéchétiques, Bazaine répond dans l’esprit des formes abstraites qu’il invente dans ses peintures depuis des années. Il imagine un ensemble abstrait de plans, de lignes et de couleurs en fusion et en mouvement pour suggérer et réveiller le mystère sans l’illustrer. Avant que nous discernions de près le jeu de ces agencements de lignes et de plans, l’énergie poétique de cette lumière-couleur de verre nous attire. Au centre, le double vitrail consacré au Baptême nous plonge par ses bleus intenses orchestrés en rythme vigoureux, dans la profondeur de l’eau régénératrice, dans l’élan et le mouvement de Pâques.
Sur la gauche, l’œuvre qui nous retient aujourd’hui est la baie de la Confirmation. Elle s’embrase en un rougeoiement de tonalités de rouges mêlés de quelques jaunes, que relèvent, par effet de contraste, de rares plans bleus en modulations plus ou moins intenses. Ce vitrail fait écho à l’effusion de l’Esprit Saint qui marque la Pentecôte, la fin du temps pascal (Actes des Apôtres 2, 1-13). Sans doute vaut-il la peine de contempler ce vitrail en faisant l’effort de « lire l’histoire avec le tableau », comme le demandait Poussin à Chantelou en 1639 à propos de son tableau La Manne. De fait, même si Bazaine avait voulu être figuratif, il reste difficile de représenter, et même de savoir au juste, ce qui a vraiment pu se passer ce jour-là dans le cénacle où se trouvaient réunis les apôtres. Luc évoque « un bruit, tel que celui d’un coup de vent » qui remplit l’espace entier de la maison puis, sans relater l’évènement lui-même, décrit la vision commune qu’en eurent les apôtres - « ils virent apparaître des langues qu’on eût dites de feu » - et la conséquence qui s’ensuivit, le don des langues. D’où les réactions générales : « Tous étaient stupéfaits et se disaient, perplexes, l’un à l’autre : « Que peut-bien être cela ? ».
Perplexité, stupéfaction, questionnement, ces mots d’hier, qui renvoient à une réaction collective et partagée en communauté, condensent encore aujourd’hui notre regard devant cette composition si dynamique et élancée de Jean Bazaine. La puissance colorée des pans de verre assemblés transforme les piliers et les murs de pierre en lignes vivantes, en forces dynamiques, en volumes qui accueillent et transportent tout notre corps. Dans l’architecture gothique, le vitrail remplace une paroi opaque en une cloison de lumière et de couleur qui clôt l’espace tout en ouvrant notre imagination, notre regard. Bazaine joue à merveille de cette possibilité-là, son invention colorée éveille notre désir de voir, de vivre, de nous demander, les uns aux autres : Que peut-bien être cela ? Que pouvons-nous partager aujourd’hui, les uns avec les autres ?
Paul-Louis Rinuy