Quand François Fillon a été élu candidat, lors de la primaire de la droite, on a relevé le rôle des catholiques dans sa victoire [1]. Même à l’étranger, en Allemagne par exemple, la chose a été relevée avec intérêt.
Mais qu’en est-il depuis le 25 janvier, date des révélations du Canard Enchaîné sur diverses turpitudes de F. Fillon ? On aurait pu s’attendre à ce que, devant cette situation inédite, les « cathos », volontiers donneurs de leçons en matière morale, se distingueraient en faisant preuve de recul par rapport aux soutiens les plus exaltés de F. Fillon. Il n’en est rien, ou si peu : si j’en juge par les réseaux sociaux et diverses publications, nombre de cathos qui ne se dissimulent pas de l’être font partie du bloc des fillonistes irréductibles et s’accrochent à lui comme la corde soutient le pendu et voteront pour lui quelles que soient ses « casseroles ». Ils sont à l’unisson des fillonistes en général : sans retenue dans le soutien du candidat et dans l’accablement de ses adversaires, en premier lieu Emmanuel Macron. Que comprendre à cette contradiction apparente ?
Il est juste de souligner que des catholiques fillonistes ont aussi été indignés par le comportement de F. Fillon : si désemparés soient-ils pour voter, ils ne mettront pas son nom dans l’urne. Cependant, après le 25 janvier, beaucoup ont très vite repris à leur compte les réactions et les éléments de langage partagés par l’ensemble du camp Fillon : le complot fomenté depuis l’Elysée pour faire échouer leur candidat ; la fureur contre les juges et la dénonciation des magistrats complices ; la légalité des emplois de l’épouse et des enfants ; la présomption d’innocence tant que les faits ne sont pas établis… tout en omettant sans discontinuer les deux éléments incontestables qui soulevaient principalement l’écœurement : l’importance des émoluments versés à Pénélope Fillon et à ses enfants et l’auto-présentation de F. Fillon en M. Propre lors des primaires de la droite, sans compter d’autres déclarations imprudentes à la télévision (début janvier 2017, il se targuait d’être « chrétien » ; dès septembre 2016, il avait incité les médias à faire sans relâche la vérité sur les politiques enfoncés dans ou par les affaires).
Les cathos fillonistes ont aussi partagé et repartagé sur Facebook l’argument tout de même, à y réfléchir, le plus misérable : « Les autres ont fait pareil ou pire. » Ils ont relayé sans trêve les innombrables textes, vidéos, fake news, boules puantes… Contre E. Macron surtout, on l’a dit (contre Jean-Luc Mélenchon aussi, quand ce dernier a commencé à menacer F. Fillon), non seulement contre le programme « nul », « vide », plein de trous et de contradictions d’E. Macron, mais aussi contre sa personne : le banquier de « chez Rothschild », ses revenus et leur obligatoirement fausse déclaration (acceptée par des vérificateurs forcément véreux), les rumeurs sur sa vie privée… Ils ont été à la remorque de la haine délirante dont il fait l’objet : avec une élégance qu’il convient de saluer, un bon catholique (considéré, à l’en croire, « presque de gauche » dans sa paroisse) s’est ainsi emporté contre le « gigolo ».
D’autres, plus traditionnels sans doute, ont invité les catholiques à pardonner à leur héros : « Ne sommes-nous pas tous pécheurs ? » Un prêtre de Paris qui a fait une thèse de théologie à Rome a fait chorus en déplorant le fait que « l’année de la miséricorde » lancée par le Pape François ait déjà été oubliée. Comme si F. Fillon avait commis un « péché » personnel, et non pas une faute politique. Plus sérieusement, d’autres ont invité à oublier cette faute au nom du programme du candidat, car c’est pour eux un axiome : ce programme est le seul susceptible de sauver la France. Qu’il soit fortement « thatchérien » n’émeut guère ces catholiques qui se veulent pourtant, comme F. Fillon, « sociaux ». Serait-ce que, parce que bourgeois et aisés, ils ne seront guère eux-mêmes contraints à beaucoup d’efforts ? Du reste, ils ne se posent pas la question : comment un candidat à l’image aussi ternie avant même d’entrer en fonction pourrait-il mener une politique thatchérienne ? Moyennant quoi, on a pu lire, de la part de gens qui avaient aussi élu F. Fillon pour sa vertu et sa stigmatisation explicite de ses concurrents non vertueux (Nicolas Sarkozy et Alain Juppé), des justifications invraisemblables pour démontrer qu’on pouvait être un excellent politique même sans vertus morales. Ce qui est parfaitement vrai – à condition de ne pas tromper le monde en mettant en avant ses vertus morales alors qu’on ne les pratique pas, ou si peu.
Passons sur les neuvaines et chaînes de prière qui ont vu le jour, avec des sites où l’on implore Dieu de « sauver la France ». Certains de ces soutiens par la prière sont de purs sous-produits de la campagne politique de F. Fillon, d’autres relaient surtout le thème général du salut et de l’identité catholique de la France – mais à l’origine de cette initiative, et sur fond de campagne électorale, il y a bien le souci de sauver le soldat Fillon. Néanmoins, le thème de la « France sauvée » par F. Fillon indique aussi à quel point son élection aux primaires avait chez certains, à droite, des résonances de promesses quasi messianiques dans l’apocalypse où la gauche a, selon eux, plongé la France. Et ceci explique aussi en partie cela – la sorte de rage pro-Fillon qui s’exprime sur les réseaux sociaux.
Restent des partisans les plus discrets et pourtant sans doute les plus importants : le mouvement Sens Commun. S’ils sont intervenus sur les réseaux, ils n’ont guère été reconnaissables. Tous les observateurs s’accordent pourtant sur l’importance en coulisses de ce groupe. Né de la Manif pour tous, il voulait réinjecter des valeurs dans la droite. Pourquoi pas ? Encore s’agit-il de savoir lesquelles et de s’y tenir. Il est piquant de lire dès l’article 1 de la charte de Sens Commun, intitulée « Réconcilier la politique avec le Réel », les lignes suivantes : « Nous refusons fermement toutes les pratiques politiques marquées par l’individualisme, le carriérisme et la corruption. Nous voulons assurer un renouvellement effectif et continu des responsables politiques, et organiser les conditions d’une pratique politique exemplaire, par l’indépendance des institutions, le renforcement de la transparence et du contrôle, l’effectivité des sanctions. » On aurait pu penser que devant la première épreuve de vérité – un candidat élu de la primaire qui n’est pas ce qu’il prétend être –, Sens Commun prendrait ses responsabilités. Il les a prises, mais dans le sens de « Machiavel », comme disait François Mauriac, c’est-à-dire dans le sens d’un Réel qui piétine les valeurs. Ce qui n’est pas pour surprendre : l’obsession des valeurs est toujours proche de la roche tarpéienne du nihilisme.
Jean-Louis Schlegel
Peinture de Paul Klee
1- Voir Yann Raison du Cleuziou, « L’identité catholique française en tension », Esprit, mars-avril 2017.
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