Pendant plusieurs dizaines d’années, Jérusalem était demeurée sans patriarche. Il fallut attendre l’an 706 pour qu’un calife permette que soit donné un successeur
à Saint Sophrone, mort 60 ans auparavant. Le nouveau patriarche demande à Jean Damascène d’accepter d’être ordonné prêtre. Celui-ci hésita beaucoup avant d’accepter.
L’Eglise de Palestine avait à se réorganiser ; elle était aux prises avec les questions nouvelles posées aussi bien à l’intérieur de la communauté ecclésiale
que dans son rapport avec l’islam. Jean V de Jérusalem fit appel à Jean Mansour dès son entrée dans la vie religieuse. On avait besoin de lui, d’abord, à l’intérieur
de la laure de Saint Saba. Une église et une grande salle permettaient que le samedi et le dimanche, les moines se retrouvent pour un temps de formation théologique
et pour la célébration de l’Eucharistie. Jean Mansour fut mis au service de ses frères. Il fut aussi, hors de Saint Saba, le prédicateur attitré de l’Eglise du Saint
Sépulcre à Jérusalem. De partout, en Palestine et en Syrie, on faisait appel à lui. Les questions théologiques fourmillaient dans les populations chrétiennes,
notamment à propos du mystère du Christ. La dimension sacerdotale de son existence a entraîné chez Jean deux sortes de comportements : le théologien qu’il était
a su profiter de son expérience pastorale.
Les chrétiens étaient déchirés sur la personne de Jésus. Le concile de Chalcédoine, deux siècles plus tôt, avait opposé trois Eglises : celle de l’empereur,
celle des nestoriens et celle des jacobites. La question du Christ avait rebondi avec une hérésie nouvelle soutenue par l’empereur. Sous prétexte de réconcilier
des adversaires, ce dernier imposait un compromis. S’il est vrai qu’il y a deux natures en Christ, l’humaine et la divine, il n’en demeure pas moins que seule
la volonté divine commandait les actes et les décisions de Jésus. Le sixième concile œcuménique avait condamné cette affirmation, en 681. Cependant, ces querelles
n’avaient fait qu’accentuer la déchirure qui existait déjà.
Conscient de ces divisions dans les communautés chrétiennes, le théologien de Saint Saba, s’inspirant de Maxime le Confesseur, fit un bel effort pédagogique pour
clarifier la problématique. Rien n’existe sans subsister. L’homme n’existe pas sans subsister dans Pierre, Paul ou Marie. Dieu n’existe pas sans subsister dans
le Père, le Fils ou l’Esprit-Saint. Appelons « hypostases » ce en quoi la réalité subsiste (qu’il s’agisse de Dieu ou de l’homme). Dans le verbe de Dieu subsistent
la réalité divine et la réalité humaine. Entre notre nature « hypostasiée » dans le Verbe et la nature divine elle aussi « en-hypostasiée », se produisent une
communication et un échange tels que notre misère, passant en Dieu, est transfigurée.
L’expérience ecclésiale influence la pensée du théologien. Inversement la pensée du théologien trouve dans la vie de l’Eglise un terrain privilégié pour s’exprimer.
Ce théologien, peut-être parce qu’il est arabe et que, dans son enfance, il a entendu les poètes du désert à la cour de Damas, a le goût du verbe et de la beauté
verbale. Il est poète lui-même. La liturgie byzantine lui doit des hymnes trinitaires qu’il eut le courage de composer face au pouvoir musulman dont on connaît la
rigidité monothéiste. Et surtout il composa des canons liturgiques composés de grandes odes particulièrement lyriques et dégageant le sens des grandes fêtes.
Le plus célèbre des canons composé par Jean Damascène est sans doute celui de la fête de Pâques :
C’est le jour de la résurrection : peuples rayonnons de joie.
C’est la Pâque, la Pâque du Seigneur ;
de la mort à la vie,
de la terre aux cieux,
Christ Dieu nous a menés.
Chantons l’hymne de la victoire.
Venez, buvons le breuvage nouveau.
Ce n’est pas la source qu’un miracle
fit jaillir du rocher.
C’est le Christ, la Source incorruptible qui s’élance du tombeau
et nous donne sa puissance.
Tout est inondé de lumière,
le ciel, la terre,
et l’enfer.
Que toute créature célèbre la résurrection du Christ.
En Lui, elle est fortifiée.
Christ est ressuscité des morts,
par la mort, il a vaincu la mort.
A ceux qui sont dans le tombeau
il a donné la vie. »