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1er dimanche de l'Avent


Evangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu
Mt 24, 37-44

L'avènement du Fils de l'homme ressemblera à ce qui s'est passé à l'époque de Noé. A cette époque, avant le déluge, on mangeait, on buvait, on se mariait, jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche. Les gens ne se sont doutés de rien, jusqu'au déluge qui les a tous engloutis : tel sera aussi l'avènement du Fils de l'homme. Deux hommes seront aux champs : l'un est pris, l'autre laissé. Deux femmes seront au moulin : l'une est prise, l'autre laissée. Veillez donc, car vous ne connaissez pas le jour où votre Seigneur viendra. Vous le savez bien : si le maître de maison avait su à quelle heure de la nuit le voleur viendrait, il aurait veillé et n'aurait pas laissé percer le mur de sa maison. Tenez-vous donc prêts, vous aussi : c'est à l'heure où vous n'y penserez pas que le Fils de l'homme viendra.

Séparés ?
Michel Jondot

Le temps de l’espérance
Christine Fontaine

Le temps des menaces
Michel Jondot


Séparés ?


L'individualisme règne!

Les temps que nous vivons sont étranges. Par un certain côté la communication entre les hommes n'a jamais été aussi facile ; quelques opérations sur un ordinateur nous permettent de rejoindre d'un seul coup des amis qui se trouvent à l'autre bout du monde. Par ailleurs, pourtant, nous vivons à l'écart les uns des autres. Dans bien des banlieues les immigrés, à l'intérieur d'une cité, n'osent pas rejoindre le centre ville tellement ils ont peur d'être catalogués à cause de leur religion ou de leur origine. Des personnes âgées se sentent isolées ; même si elles sont dans une maison de retraite confortable. Où est-il le temps où l'on terminait ses jours au milieu des enfants et petits enfants ! L'individualisme règne. Le monde du travail a cessé de faire des compagnons ; autrui est un concurrent dont on doit se protéger si l'on veut garder son emploi ou son entreprise. Les jeunes doivent apprendre à rédiger des curriculum vitae susceptibles de convaincre qu'ils sont les meilleurs afin de cesser d'être laissés pour compte ! L'écart entre les riches et les démunis a des dimensions abyssales. L'approche des fêtes ravive ce besoin où l'on peut se rejoindre réellement, non seulement sans crainte, mais heureux d'avoir sous les yeux un visage de chair bien souriant. Hélas, pour beaucoup, les fêtes accroissent la souffrance d'être seuls. Un ami médecin me disait que lors des nuits de Noël ou du jour de l'An, le nombre des suicides atteignait des records. Reconnaissons-le, nous vivons une époque de rupture aux couleurs souvent tragiques.

Rupture

« Rupture » : voici le mot clé qui permet de lire ce texte apparemment décousu. Rupture qui sépare une époque d'avec une autre. L'arrivée du Déluge coupe le déroulement des siècles. D'un côté, une période de paix et de prospérité : la vie quotidienne suit son cours. On a de quoi boire et manger et on peut aisément faire vivre une famille : « On mangeait, on buvait, on se mariait ». De l'autre côté, celui de la catastrophe dans laquelle les masses humaines sont englouties et où les restes de vie sont emportés sur les flots : « Où va-t-on ? ». Cette séparation a son parallèle, à la fin du texte. Aux dimensions cosmiques du déluge succède la rupture aux dimensions domestiques dans la parabole du maître de maison. Tout allait pour le mieux dans cette demeure confortablement aménagée jusqu'au jour où le mur est percé et les biens enlevés. Il faut se remettre à construire et à vivre. Là encore, après la tranquillité des jours, vient le temps de la détresse et du regret.

Entre ces deux ruptures, on a deux lignes qui, à première vue, intriguent mais qui, en réalité, éclairent l'ensemble. Entre la catastrophe naturelle des eaux du Déluge et le cambriolage d'une maison, « deux hommes seront aux champs ; l'un est pris, l'autre laissé ! Deux femmes seront au moulin : l'une est prise, l'autre laissée ! » Ces propos qui disent la rupture entre les temps évoquent, en leur milieu, la rupture entre les personnes humaines. Les hommes sont séparés des femmes comme les champs le sont des moulins. Entre les uns et les autres, l'écart se redouble. L'éloignement entre eux indique la distance à franchir pour entrer dans un autre temps, le temps de Dieu.

Le Verbe nous rejoint

Ces ruptures que Matthieu nous donne à lire sont comme le négatif de la réalité que Noël manifeste. A cette coupure entre les temps et les personnes, à cette pulvérisation de l'humanité, s'oppose la rencontre inimaginable qui s'opère à Bethléem. Entre ces séparations se réalise un passage qui s'inscrit dans la chair de l'humanité, aux jours de l'empereur Auguste, lorsque Quirinus était gouverneur de Syrie, alors que toute la terre était recensée, si l'on en croit ce que nous réentendrons lors de la Messe de minuit. Les temps que nous vivons, quelles que soient les époques, sont ajustés au temps de Celui qu'on nous désigne comme le Fils de l'Homme. Le temps de Dieu et le temps de l'histoire sont proches l'un de l'autre comme le temps qui précède le Déluge et le moment où les eaux se déchaînent. Ou encore, le temps de Dieu et le temps des hommes se rejoignent comme l'instant où le voleur perce le mur rejoint celui où le maître de maison s'enfonce dans le sommeil.

« Veillez donc car vous ne savez pas le jour où votre Seigneur viendra ». Le jour où le Seigneur vient - où il advient : c'est le sens du mot « Avent » - est le jour où sa parole rejoint notre histoire charnelle. Pas de parole sans écoute et, si nous prêtons l'oreille nous entendons sa voix dans tous les appels qui font apparaître la détresse humaine. Pas de parole de Dieu dans l'histoire ailleurs que dans l'écoute et les réponses que nous tentons, à la mesure de nos moyens ou de nos vocations, pour que les écarts dont nous sommes témoins soient franchis. Le Verbe s'est fait chair à Bethléem ; il se déplace à travers les siècles ; il nous rejoint en cette époque où nous constatons tant et tant de ruptures.

Les temps que nous vivons sont étranges, c'est vrai. En réalité, au milieu des blessures de l'humanité, l'attente sera toujours aussi grande ; elle a les dimensions de Dieu lui-même. Nous entrons en Avent et nous célébrons ce moment en célébrant l'Eucharistie. L'ensemble que nous formons est apparemment séparé des attentes de ceux qui nous entourent, dans notre ville et, plus largement, dans le monde. A nous de tenter de réduire les écarts. C'est une aventure : avent et aventure ont même sens et même racine. Comme disait Thérèse d'Avila : « Aventurons nos vies » !

Michel Jondot


Le temps de l’espérance

L’hypocrisie de l’homme moderne

C’était un avocat de grand renom. Il défendait non seulement les riches mais aussi ceux qui n’avaient pas les moyens de le payer à son juste prix. Dans la vie publique, on l’admirait pour son grand désintéressement et son sens de la justice. Dans la vie privée, il était d’agréable compagnie. Son sens de l’humour et ses réparties étaient particulièrement appréciées aussi comptait-il beaucoup d’amis. Il aimait à être reçu chez eux mais n’oubliait jamais de rendre une invitation. Il ne s’était pas marié mais chaque femme qu’il rencontrait se sentait pour lui unique au monde. Il mangeait, il buvait, il vivait en harmonie avec son entourage, il travaillait. Dans tout ce qu’il faisait, il pouvait à juste titre être fier de l’image qu’on lui renvoyait de lui. Jusqu’au jour où, se promenant seul, de nuit, sur un pont de Paris, il vit une femme prête à se jeter dans la Seine. Etait-il distrait ou préoccupé d’autre chose, toujours est-il qu’il passa son chemin. L’impact du corps touchant l’eau ne le fit pas se retourner. Mais à partir de ce jour, ce bruit – tel un coup de foudre - lui revint sans cesse à la mémoire. De ce qu’il avait construit, rien ne subsista. Quelques années plus tard, on retrouve cet avocat qui fut célèbre devenu presque clochard dans un bistrot d’Amsterdam. A un passant, il raconte sa vie : tout ce qu’il avait fait dans le passé – manger, boire, travailler, etc. – ne procédait que d’un amour inconditionnel de lui-même. Il n’avait en fait jamais aimé personne d’autre que lui. Il avait seulement aimé être aimé et admiré. Le suicide de cette jeune femme a été le choc qui a percé la clôture de sa propre demeure dont il ne resta pas pierre sur pierre. On reconnaît dans cette histoire, le roman de Camus « La Chute », où l’auteur trace un portrait de l’hypocrisie de l’homme moderne.

La vérité de la vie humaine

Si Camus fait le portrait de l’homme moderne, à en croire cet Evangile, l’hypocrisie humaine est de tout temps. A l’époque de Noé, on mangeait, on buvait, on se mariait et on travaillait déjà. A l’heure où le fils de l’Homme viendra, des hommes seront aux champs et des femmes aux moulins. Du tout début jusqu’à la fin de l’humanité, on mange, on boit, on se marie et on travaille. Cependant, lorsque le Fils de l’Homme viendra, de la différence apparaîtra à l’intérieur de ces comportements communs à toute l’humanité : « Deux hommes seront aux champs, l’un est pris, l’autre laissé. Deux femmes seront au moulin, l’une est prise l’autre laissée. » Ce jour là sera dévoilé ce qui nous pousse à agir : l’amour narcissique de nous-mêmes ne pourra entrer dans l’arche de Noé. De la construction artificielle de chacun, il ne restera pas pierre sur pierre. Tout sera englouti comme aux jours du déluge.

Cependant, contrairement à Camus qui ne voit dans l’homme moderne qu’un hypocrite, Jésus déclare que ce mensonge qui nous ronge n’est qu’une partie de la vie humaine. Lorsque les hommes et les femmes mangent, boivent, se marient et travaillent, ils n’agissent pas nécessairement pour être satisfaits de leur propre image. D’autres – la moitié de l’humanité ou une part de chacun – est capable de désintéressement, d’amour et d’amitié réels. Au fil des jours, nous ne savons pas toujours faire la différence ni en ce qui nous concerne, ni dans le comportement de ceux que nous côtoyons. Nous sommes portés à nous justifier nous-mêmes. Si nous aimons quelqu’un en vérité, nous avons aussi tendance à croire que cette personne agit de même à notre égard. Nous nous laissons prendre à nos propres filets ou à ceux qui nous sont tendus. Une partie de l’humanité – et de chacun – est plongée dans l’hypocrisie certes, mais une autre vit dans la vérité. Si nous ne savons pas toujours faire la différence, cependant l’Evangile de ce jour nous empêche de réduire le désir des hommes et des femmes à la recherche de leur propre intérêt. Jésus réfute cette conception néolibérale de l’homme moderne qui prétend que tout homme ne vit qu’en fonction de son propre intérêt.

Apprendre à discerner

Dans la vie quotidienne – lorsque nous mangeons, buvons, nous marions et travaillons – comment savoir ce qui nous pousse à agir puisque les apparences sont identiques ? « Veillez donc, car vous ne connaissez pas le jour où votre Seigneur viendra… Tenez-vous donc prêts, vous aussi : c'est à l'heure où vous n'y penserez pas que le Fils de l'homme viendra. », dit Jésus. Celui qui veut sortir du mensonge, espère la venue du Fils de l’Homme. Il la guette, il l’attend à chaque instant. Il espère que l’Esprit du Seigneur, en venant résider chez lui, lui donnera de discerner ce qui doit être détruit. L’hypocrite, au contraire, redoute que la lumière se fasse en lui. Il craint la venue de ce Fils d’Homme qui viendrait briser l’image qu’il se fait de lui. Il n’en veut pas.

En ce premier dimanche de l’Avent, ne soyons pas de ceux qui désespèrent de l’humanité : à en croire Jésus, elle comporte aussi une part de lumière. Soyons de ceux espèrent et attendent à chaque instant la venue de celui qui vient séparer la lumière des ténèbres, la vérité du mensonge, la vie de la mort. Soyons de ceux qui attendent d’être délivrés de leur propre hypocrisie. De ceux qui espèrent aussi apprendre à discerner la part de vérité et celle de mensonge dans leur propre entourage. En ce premier dimanche de l’Avent, vivons dans l’espérance de Noël, celle de l’incarnation de Dieu au milieu de nous !

Christine Fontaine


Le temps des menaces

Etat d’urgence

Notre pays est à l’épreuve. Voici à peu près un an au cours d’un spectacle paisible au Bataclan, à Paris, un attentat faisait 130 morts et 413 blessés, déchirant des amours et des familles. Le 14 juillet dernier, à l’heure où des foules partageaient à Nice la joie d’un pays en fête, un poids lourd conduit par une espèce de kamikaze arrachait à leurs proches 86 personnes, hommes, femmes, enfants et contraignait les hôpitaux de la ville à trouver 434 lits pour soigner les blessés ; un mois plus tard, dans un village de Normandie un vieux prêtre entrait dans son église pour y célébrer l’Eucharistie sans se douter que, victime d’un terroriste, il n’en sortirait pas vivant. Ces événements ont entraîné ce qu’on appelle « l’état d’urgence » : tous les citoyens sont heureusement sur le qui-vive. Dans une rue au centre de Paris, alerté par le stationnement étrange d’un véhicule, un homme a été assez vigilant et a pu prévenir un drame.

Les toutes premières communautés chrétiennes ont connu une situation de ce genre à Jérusalem, peu de temps après le départ de Jésus lorsque des armées païennes vinrent envahir la ville, détruire le Temple et menacer les populations juives auxquelles appartenaient encore les premiers croyants. Ils en étaient venus à craindre le pire : la fin du monde. Dans ce climat d’insécurité resurgissaient ces paroles de Jésus que l’Eglise nous fait entendre pour nous orienter vers le jour de Noël. Le lien qui nous unit peut se rompre : deux compagnons dans les champs peuvent s’attendre à être séparés. « Deux femmes seront au moulin, l’une est prise et l’autre laissée. » Métro, boulot, dodo, disait-on après mai 68 pour caricaturer l’insouciance d’une génération qui, à cette époque, risquait de s’endormir sous l’effet d’une façon de vivre devenue trop facile. Ceci ressemble assez à la manière dont Jésus s’exprimait en faisant allusion au temps précédant le Déluge. « A cette époque on mangeait, on buvait, on se mariait, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche. Les gens ne se sont doutés de rien jusqu’au Déluge qui les a tous engloutis. »

L’angoisse au cœur de notre histoire

Les siècles se succèdent et la même angoisse surgit dans notre histoire humaine. Nous ressemblons à tous ceux qui nous ont précédés. La crainte des attentats n’est pas la seule qui nous habite : on nous saoule d’images apocalyptiques. Les étrangers nous envahissent, les populations connaissant la faim risquent de déclencher un conflit mondial, la violence qui ne cesse de se déployer au Proche-Orient risque de s’étendre à l’univers, la planète risque de disparaître sous l’effet du réchauffement climatique. Comment réagir ? Certes, une vigilance s’impose. Demandons à nos responsables d’inventer des mesures de sécurité à la fois efficaces et respectueuses des libertés de nos concitoyens. Nos convictions influencent nos responsables ; sachons faire nos choix politiques non en fonction de nos seuls intérêts mais en nous efforçant de promouvoir l’hospitalité dans notre pays et, dans le monde, la justice et la paix. Enfin nous savons de mieux en mieux qu’il est une façon de vivre qui peut faire reculer les dangers pesant sur le cosmos. « Mieux vaut prévenir que guérir » dit la sagesse populaire, faisant écho aux paroles de Jésus : « Vous le savez bien : si le maître de maison avait su à quelle heure de la nuit le voleur viendrait, il aurait veillé et il n’aurait pas laissé percer le mur de sa maison. »

L’amour bannit la peur

Ceci ne suffit pas. Le texte de l’Evangile de ce jour nous montre que Jésus donne une portée mystique à cette vigilance dont la fête de Noël ravive la conscience. Ce qui à travers les aléas de l’histoire nous fait peur devrait nous révéler ce qui couve, pareil au feu sous la cendre, au cœur de notre humanité. En écoutant les confidences des jeunes que j’ai eues à propos de la préparation de leur mariage, j’ai deviné le secret de Jésus lorsqu’il nous appelle à la vigilance. Dans le temps précédant la rencontre de deux jeunes fiancés, il y a un moment décisif que chacun ne peut oublier. Tout commence par la peur lorsqu’on éprouve des sentiments mystérieux à l’égard de celui-ci ou de celle-là. On craint de se révéler à autrui ; ne risque-t-on pas, ce faisant d’être incompris et rejeté ? Mais que l’on surmonte la peur et que surgisse, entre un homme et une femme qui s’aiment, une parole vraie et la vie est illuminée tant il est vrai que « l’amour parfait bannit la peur » (1 Jean 4,18).

C’est avec cette conviction, semble-t-il, qu’il faut commencer à disposer dans nos maisons les personnages de la crèche. La vigilance devant les fléaux de notre temps doit convertir la peur en amour. « Tenez-vous donc prêts… A l’heure que vous n’y pensez pas, le Fils de l’Homme viendra » : Lutter contre les menaces de mort, veiller pour les faire reculer, c’est faire acte d’amour pour le monde qui nous entoure, c’est nous rapprocher de Celui qui nous révèle la tendresse du Père et qui veut la vie.

Paradoxe de la foi : il est déjà là et pourtant il frappe à nos portes pour entrer.

Michel Jondot