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La foi contre toute emprise - 3ème partie
Christine Fontaine

Le mythe de Babel représente l’Humanité qui cherche à vivre en paix sous la Loi du Même ou de l’Un. Un seul et même langage, un projet qui est le même pour tous, une ville où se fixer dont la tour transperce les cieux et qui se présente comme un modèle pour toute l’Humanité. Selon cette Loi, toute altérité est facteur de division et par conséquent mauvaise. Cette Loi ne supporte aucune altération ni dans le temps ni dans l’espace. Selon Christine Fontaine, elle caractérise une certaine manière de vivre sous emprise dans l’Église catholique aujourd’hui alors que la foi au Dieu de Jésus-Christ combat toute emprise.

1- « Je ne veux pas que l'autre soit le même… »

2- « Parce que c'était lui, parce que c'était moi »

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3- Le Dieu pervers (1)

Ceux qui considèrent que l’obéissance aux lois de l’Église est la condition du salut font du Dieu de Jésus-Christ un « dieu pervers » qui donne gratuitement d’une main pour mieux reprendre de l’autre, qui libère de l’esclavage des lois anciennes pour mieux faire porter le joug des lois nouvelles. Ils confondent Béelzéboul avec Jésus-Christ. Certes, l’Église en tant qu’assemblée des croyants, comme tout autre peuple, ne peut vivre sans lois. Mais elle a le devoir de toutes les relativiser et de rappeler que seule la loi de l’hospitalité universelle doit être déclarée immuable en christianisme.

De l’obéissance à la Loi à l’obéissance de la foi

Le mythe de Babel représente l’Humanité qui cherche à vivre en paix sous la Loi du Même ou de l’Un. Un seul et même langage, un projet qui est le même pour tous, une ville où se fixer dont la tour transperce les cieux et qui se présente comme un modèle pour toute l’Humanité. Selon cette Loi, toute altérité est facteur de division et par conséquent mauvaise. Cette Loi ne supporte aucune altération ni dans le temps ni dans l’espace. Elle ne peut fonctionner que si elle est universelle ou au moins tend à le devenir. La Loi, en judaïsme, n’est pas de cet ordre : elle ne concerne qu’un peuple particulier – les Juifs. Elle n’est pas universelle. Par cette Loi que Dieu leur a donnée, les Juifs se distinguent des autres peuples mais ils ne cherchent pas à imposer leurs injonctions à l’ensemble de l’humanité.

Le christianisme, issu du judaïsme, en fait éclater les frontières. Des païens autant que des Juifs décident de suivre le chemin ouvert par Jésus-Christ. Le christianisme a une dimension universelle. On passe de la relation de Dieu avec un peuple qui se particularise par l’obéissance à ses lois et ses préceptes à une relation qui s’offre à tous moyennant la foi. Mais qu’est-ce qui s’offre à tous et qui est par conséquent universel ? La reconnaissance du don de Dieu totalement libre et gratuit qui dépasse toute loi ou bien l’obligation faite à tous de suivre de nouvelles lois – celles que prône la hiérarchie dans le catholicisme - pour obtenir la vie et le salut ? Si tel était le cas, le fonctionnement de l’institution ecclésiale serait semblable non pas au judaïsme mais à celui de Babel. Certes, l’Église catholique ne peut pas accomplir son rêve de réunir l’humanité sous une seule vérité ou une même morale : elle n’a jamais pu réduire tous les autres à s’y soumettre. Mais elle a pu et peut encore, sinon le faire, du moins le désirer. Elle se transforme alors en une idéologie totalitaire qui prétend imposer son totalitarisme au nom du Dieu de Jésus-Christ.

La suite du Christ non seulement libère de toutes les prescriptions de la Loi mais elle interdit d’y revenir. L’apôtre Paul fustige les Galates qui, issus du monde païen, avaient la tentation de retourner sous le joug de la Loi en se faisant circoncire : « C’est pour que nous restions libres que le Christ nous a libérés. Donc tenez bon et ne vous remettez pas sous le joug de l’esclavage. C’est moi, Paul, qui vous le dis : si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien. De nouveau je l’atteste à tout homme qui se fait circoncire : il est tenu à l’observance intégrale de le Loi. Vous avez rompu avec le Christ, vous qui cherchez la justice de la Loi ; vous êtes déchus de la grâce. Car pour nous, c’est l’Esprit qui nous fait attendre de la foi les biens qu’espère la justice. En effet, dans le Christ Jésus ni circoncision ni incirconcision ne comptent, mais seulement la foi opérant par la charité. » (Gal 5, 1…4). Décréter de droit divin ne serait-ce qu’une seule loi autre que celle de l’hospitalité universelle – ce que Paul appelle la charité - c’est rompre avec le Christ et être déchus de la grâce.

Ceux qui cherchent la justice de la Loi, attendent de Dieu une juste récompense pour leurs efforts et le mérite qu’ils ont de se soumettre à toutes ses prescriptions. Ils en espèrent, si ce n’est la prospérité sur cette terre, du moins le salut éternel. Ils supportent le joug des lois en vue d’une récompense qui – puisque Dieu est juste – serait due à leurs vertus. L’obéissance à des lois est de l’ordre du devoir qui, lorsqu’il est accompli, mérite récompense et sanction lorsqu’il ne l’est pas. La vie dans la foi au Dieu de Jésus-Christ se situe par-delà tout devoir, tout mérite, toute vertu, toute recherche d’une récompense et toute menace d’une sanction. Dans l’obéissance de la foi, il ne s’agit plus d’obéir à des prescriptions mais de croire en l’amour inépuisable que Dieu porte à chacun. La vie dans la foi au Dieu de Jésus-Christ consiste à se laisser saisir par l’Esprit qui pousse ses disciples à aimer chacun gratuitement comme eux-mêmes sont aimés gratuitement. « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement », dit Jésus à ses amis (Mt 10,8). Méprisable serait celui qui, en amour, chercherait une autre récompense que celle d’aimer toujours davantage :

« L’amour se suffit à lui-même, il plaît par lui-même et pour lui-même. Il est à lui-même son mérite, il est à lui-même sa récompense. L’amour ne cherche hors de lui-même ni sa raison d’être ni son fruit : son fruit, c’est l’amour même. J’aime parce que j’aime. J’aime pour aimer. Quelle grande chose que l’amour, si du moins il remonte à son principe, s’il retourne à son origine, s’il reflue vers sa source pour y puiser un continuel jaillissement ! »
Bernard de Clairvaux

La perversion en christianisme

Ceux qui considèrent que l’obéissance aux lois de l’Église est la condition du salut font du Dieu de Jésus-Christ un dieu pervers qui donne gratuitement d’une main pour mieux reprendre de l’autre, qui libère de l’esclavage des lois anciennes pour mieux faire porter le joug des lois nouvelles. Ils confondent Béelzéboul avec Jésus-Christ. Certes, l’Église en tant qu’assemblée des croyants, comme tout autre peuple, ne peut vivre sans lois. Mais elle a le devoir de toutes les relativiser et de rappeler que seule la loi de l’hospitalité universelle doit être déclarée immuable en christianisme.

« Méfiez-vous des faux prophètes, qui viennent à vous déguisés en brebis, mais au-dedans sont des loups rapaces », dit Jésus-Christ (Mt 7,15). Un faux prophète est quelqu’un qui prétend parler au nom de Dieu alors qu’il utilise sa fonction pour établir ou consolider son propre prestige. Il prétend n’agir que dans l’intérêt des autres alors qu’il ne cherche qu’à les dominer. Il pervertit le christianisme. En général, un pervers ne se met pas en-dehors des lois. Cette obéissance aux lois ou aux rites est le manteau dont il se recouvre pour mieux dévorer l’autre de l’intérieur. Car c’est le sujet qui l’intéresse et dont il fait sa proie. L’obéissance qu’il demande aux autres est au service de son propre narcissisme. Un faux prophète est un pervers narcissique qui sacralise sa propre perversion en prétendant agir pour le bien des autres au nom de Dieu.

« Le moi est haïssable », disait Pascal. Le moi dont il parle est cette tendance à ignorer ou à dominer les autres. Un faux prophète prête toujours à l’autre ce moi haïssable alors que lui-même prétend agir, en toute humilité, pour le bien des fidèles. Tout ce qui lui échappe dans la vie de quelqu’un est assimilé à de l’orgueil – péché suprême – qui implique une conversion radicale… à lui puisqu’il a été choisi par Dieu pour guider les croyants ! Il confond le moi haïssable avec la singularité de chacun. On dit de lui qu’il n’écoute personne. En fait, il serait plus exact de dire que pour lui il n’y a personne à écouter puisque les autres n’existent pas. Enfermé en lui-même comme dans une citadelle inexpugnable, il ne lâche jamais de lui-même ses proies. Il s’en nourrit. Si l’une d’entre elles résiste et qu’il est contraint de la laisser partir, elle s’efface de sa mémoire. Les victimes n’ont pour lui aucune existence. Il vit dans le déni. Ceux qui, dans l’Église, utilisent leur autorité pour violer le corps de leurs ouailles ne l’auraient pas pu s’ils n’avaient d’abord violé leur âme : « Ne craignez rien de ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l’âme ; craignez plutôt Celui qui peut perdre dans la Géhenne à la fois l’âme et le corps » dit Jésus (Mt 10,28). Et c’est bien dans l’enfer – la Géhenne – que plongent dès cette terre les victimes d’un faux prophète. Si la victime fonctionne selon la Loi de l’Autre, elle aura du mal à déceler, au moins en un premier temps, le jeu d’un faux prophète. En effet, comme l’écrit Jean de la Croix, « pour un voleur, tout le monde est voleur et pour un homme bon, tout le monde est bon ». Un faux prophète ne tire pas seulement parti des failles de sa victime mais peut-être avant tout de sa bonté.

Le problème n’est pas qu’il existe des pervers narcissiques parmi les clercs dans l’Église catholique comme il y en a ailleurs. La question est de discerner dans quelle mesure son système en tant que tel non seulement n’interdit pas cette perversion mais l’autorise. Dans la mesure où le commandement d’amour fraternel – d’écoute mutuelle – n’est plus le seul commandement de droit divin, toute emprise des uns sur les autres peut devenir la règle… au nom de Dieu. Le fait qu’il y ait des hommes mis à part pour donner Dieu aux autres peut devenir la clef de voûte d’un système de domination des uns sur les autres. Comme ce système se présente ordonné à Dieu par la volonté de Dieu lui-même, il est difficile – voire impossible pour certains croyants –, de le contester. Sortir de son emprise – et de celle des pervers qui le sacralisent –, est souvent terrorisant puisque tout se passe au niveau le plus profond de chaque croyant. Pour redevenir sujet - capable de s’exprimer en je - faute de pouvoir dire « je » crois au Dieu de Jésus-Christ, il n’est parfois d’autre issue que de dire je n’y crois plus. C’est pour certains la seule manière de sauver leur propre singularité et leur propre histoire. D’autres refuseront de se reconnaître catholiques et préféreront dire qu’ils sont chrétiens. Ce qui transforme l’Église catholique en une tour de Babel n’est pas le fait qu’il y ait une hiérarchie mais qu’elle affirme – et commande de croire –, qu’elle est de droit divin autant si ce n’est plus que le commandement de l’amour mutuel. À l’opposé, il suffit que les membres de la hiérarchie soient avant tout des frères - et relativisent leur propre fonction -, pour que la maison commune soit fondée sur le roc du seul commandement qui soit de droit divin.

Cependant n'y a-t-il pas des croyants proches de Dieu et capables, par le fait même, d’en aider d’autres à distinguer le Dieu pervers du Dieu de Jésus-Christ ? Si bien sûr. On les reconnaît, non pas à leur statut, mais à leur désir et leur capacité de se déplacer vers les autres, qu’ils soient ou non croyants. Ils ont une certaine qualité d’écoute et un désir sincère d’entrer en conversation avec des personnes qui ont une histoire ou vivent dans un monde très différents du leur. Ils considèrent l’altérité comme une chance. Mais courir cette chance est toujours en même temps un risque. Le fait de trouver et de garder le cap d’une relation vraie n’a rien de confortable. On ne peut pas s’installer dans cette position. Le chemin vers l’Autre et vers les autres est toujours à refaire. Il s’agit de prendre le risque de l’autre comme on prend le risque de la foi.

Christine Fontaine, avril 2023
Peinture de Vassily Kandinsky



1- Le Dieu pervers est le titre d’un livre de Maurice Bellet, Desclée de Brouwer – Première édition en 1979, réédité en 2018. / Retour au texte