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Urgences : climat de guerre sur l'énergie
Julien Lecomte

Dans le cadre de la rubrique Écologie que m’a confié Dieu Maintenant, l’urgence de la situation m’a incité à proposer cette tribune, tant y sont liés de manière dramatique, si ce n’est tragique, les enjeux climatiques, géopolitiques et énergétiques. Les propos n’engagent que leur auteur.

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Carte des températures moyennes annuelles à l’échelle planétaire (source : DR)

Le temps des urgences

De manière involontairement synchrone, la Russie de Poutine agressait sauvagement l’Ukraine lorsque le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) publiait le second volet de son dernier rapport (1). Et toujours au même moment, en France, la question énergétique se trouvait déjà débattue depuis l’entrée en campagne électorale pour les présidentielles.

La sidération provoquée par le retour de la barbarie guerrière sur le sol de l’Europe a fait, dans l’instant, passer au second plan l’urgence absolue de la situation climatique décrite par les scientifiques du GIEC. Néanmoins, sans négliger aucunement la tragédie ukrainienne, de nombreuses personnalités, associations et autres groupes d’activistes n’ont pas baissé la garde sur celle du climat. Le GIEC est désormais très clair : nous avons, à l’échelle planétaire, une fenêtre très étroite de trois ans pour transformer radicalement nos modèles énergétiques, afin de limiter un réchauffement global à 1,5°C. Si nous ratons le tournant, la suite sera beaucoup plus violente.

Une guerre à l’odeur d’hydrocarbures

Entre la guerre en Ukraine et l’urgence climatique, il y a un lien inévitable, certes commenté à foison, mais dont nous voulons nous faire ici de nouveau l’écho : la production-consommation des énergies fossiles, source des volumes les plus importants de gaz à effet de serre, et cause majeure du réchauffement planétaire. La Russie est un énorme producteur d’hydrocarbures, en particulier de gaz. L’Europe a trop longtemps ménagé son dirigeant, s’aveuglant volontairement sur ses visées, pour ne pas « couper le gaz », tant notre continent s’est rendu dépendant de son importation. Afin de maintenir le robinet ouvert, d’anciens dirigeants politiques de pays européens ont rejoint les entreprises gazières et pétrolières de l’État russe, et au premier lieu l’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder ou, en France, l’ancien Premier Ministre François Fillon, offrant au dictateur de Moscou une tête de pont de premier choix pour exercer son influence en Europe. Et c’est avec les énormes revenus générés par la vente de ses hydrocarbures que Poutine a pu financer ses guerres.

Climat, guerre et énergie forment un trio infernal. Si l’agression de l’Ukraine nous touche particulièrement comme européens, rappelons que l’enjeu climatique concerne l’Humanité dans son ensemble. Ainsi, le géant pétrolier français Total est fortement critiqué pour le maintien de sa présence en Russie, mais il ne faut pas non plus oublier son projet désastreux de méga-exploitation pétrolière en Ouganda, sur les rives du lac Albert, dans l’ouest du pays (2). Et la Russie est également présente en Afrique sur le terrain de la guerre, en y envoyant ses sinistres mercenaires des groupes dits « Wagner » (Mali (3), Centrafrique).



Tracé du gazoduc NordStream 1 reliant les réserves de gaz russe à l'Europe occidentale (Source Wikipedia)

Retrouver le « goût du vrai »

Les experts, les ingénieurs et les activistes climatiques débattent, parfois avec rudesse, des choix techniques pour sortir de la dépendance désormais mortifère aux énergies fossiles. Mais tous sont cependant d’accord sur ce point vital : nous ne pouvons plus continuer à brûler du pétrole, du charbon et du gaz pour nos besoins en énergie. Et les discours qui prétendent l’inverse sont négationnistes, anti-scientifiques et dissimulent le plus souvent le pire cynisme d’intérêts rapaces.

Toute guerre est aussi celle de l’information. L’intoxication, la propagande, la désinformation ou les « fake news », peu importe les termes choisis, sont des armes de déstabilisation. Elles sont utilisées en temps de paix, et trop souvent sont le préalable des offensives militaires ou des guerres civiles. Ces manipulations visent à semer le mauvais doute, ce soupçon malveillant teinté de paranoïa, pouvant nourrir des mouvements de sédition. Elles sont reprises par les extrémistes de tous bords et concourent à alimenter le complotisme, jusqu’à la fomentation d’actions violentes contre les institutions (4). Nous nous inquiétions déjà, sur ce site, des manipulations dangereuses de l’information au plus fort de la pandémie de la Covid19 (5). La démultiplication du mensonge organisé qu’offre la Toile, et tout particulièrement par les mal-nommés réseaux « sociaux », atteint tous les sujets les plus cruciaux. Sur les questions scientifiques, une nouvelle catégorie d’individus est apparue : les ultracrépidariens (6), ignorants sûrs d’eux-mêmes et emprunts à se répandre bruyamment sur la Toile comme dans la société, selon le principe de l’effet Dunning-Kruger (7).

Il est devenu urgent de retrouver le « goût du vrai », comme nous y appelle le physicien et vulgarisateur scientifique Etienne Klein (8). Nous sommes entrés dans une dangereuse ère de relativisme agressif déniant toute existence à la vérité, où la facilité de l’opinion s’érige contre l’effort de la démonstration scientifique. Si, certes, le doute et la certitude sont un couple tumultueux en sciences, il n’est pas possible d’accepter comme questionnement valide un tweet de Donald Trump rayant en cent-quarante signes rageurs un rapport sur le changement climatique qu’il n’a même pas lu. Car il ne s’agit ici plus seulement d’un épiphénomène disparate, cantonné à des individus isolés, mais d’un mouvement qui s’est emparé des mentalités. La faiblesse, si ce n’est l’absence de culture scientifique généralisée favorise cette révolte régressive contre la vérité. Elle prépare le terrain à tous les relativismes, toutes les manipulations, tous les négationnismes.



Albert Einstein dans les années 1920 (photo DR). Einstein a regretté d’avoir appelé ses découvertes « Théorie de la relativité » car cela a donné lieu à un énorme contresens du public profane. Cette théorie n’affirme absolument pas que « tout est relatif », prétexte pseudo-scientifique de tous les relativismes. Il lui aurait préféré « Théorie des invariants » car elle démontre que certaines grandeurs, comme la vitesse de la lumière, ne changent pas quel que soit le référentiel choisi pour décrire un phénomène physique.

Refonder la rationalité

Dans un précédent article, nous considérions que seule la volonté politique couplée à la rationalité scientifique nous permettrait de trouver les solutions globales à la crise écologique (9). Cependant, la rationalité elle-même a mauvaise presse. Ne l’occultons pas car ceci est révélateur, toujours selon Etienne Klein, de cette grande question : « Comment élargir la rationalité pour qu’elle devienne généreuse, poétique, excitante, contagieuse ? Comment excéder l’application du seul critère d’exactitude ? Ces défis sont ceux que nous, scientifiques, n’avons pas su relever : la science désormais semble triste, lointaine, complexe, étrangère. Un tel éloignement ouvre des boulevards au populisme scientifique, qui lui-même nous détourne de la science. » (10)

La rationalité est maintenant mise en accusation : c’est par son emprise sur le monde, développant des techniques toujours plus puissantes de maîtrise de la matière, qu’elle nous aurait menés au saccage des biens planétaires. C’est encore elle, et plus largement l’esprit occidental, qui a œuvré à la séparation entre Nature et Culture, et serait la cause profonde de la crise écologique. Ajoutons toutefois que d’autres coupables ont aussi été dénoncés, comme le cartésianisme, instaurant une scission radicale entre le cogito et un monde rempli d’illusions, ou la Bible, avec ce verset de la Genèse : Dieu les bénit et leur dit : « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Soyez les maîtres des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, et de tous les animaux qui vont et viennent sur la terre. » (Gn 1, 28).

La question reste posée toutefois : la rationalité est-elle responsable de tous ces maux ou plutôt son mauvais usage ? Est-elle vraiment le moteur de la cupidité, de l’avidité, de la volonté de puissance ou n’a-telle été que « l’alibi à toutes sortes de dominations »  (11) ? S’il nous faut, avec Etienne Klein, reconnaître l’ambivalence de la rationalité scientifique, il est cependant certain que son rejet ne nous permettra pas de réparer les dégâts, et pire encore les aggravera.
Alors sur quoi appuyer cette refondation de la rationalité ? Des voix se sont déjà élevées, proposant la relationnalité en complément à la rationalité, voire comme son substitut, afin de créer un nouveau rapport au vivant, œuvrant à son respect et à sa sauvegarde. D’autres emploient les mots d’affectivité ou de révérence à l’égard de la Nature, à l’image de ce sentiment composé de sérénité, de gratitude et d’humilité que nous éprouvons lors de l’immersion dans un milieu naturel foisonnant.

Comme chrétiens, nous voudrions proposer une ressource historiquement ancienne, mais ô combien actuelle : l’Émerveillement franciscain devant la Création. Relationnalité, affectivité, révérence : ne serait-ce pas des termes justes pour décrire l’attitude du poverello d’Assise contemplant les astres, les plantes, les animaux, l’eau des rivières ? Et apprendre à lire le grand livre de la Nature grâce à la science n’est-elle pas aussi une manière de s’émerveiller ? Les écologues narrant leur parcours personnel nous racontent que leur intérêt scientifique a d’abord eu pour source leurs émotions d’enfance devant la beauté d’une fleur, d’un oiseau ou d’un cristal de roche.

Face aux urgences et aux multiples dangers qu’elles portent, nous devons offrir à nos contemporains cet héritage spirituel comme compagnon de la rationalité, mais aussi proposition de discernement et de résistance au chaos.



Saint-François parlant aux oiseaux, d’après Giotto (détail de la fresque - basilique majeure d’Assise, Italie)

Julien Lecomte
28 mai 2022

1- https://www.vie-publique.fr/en-bref/284117-rapport-2022-du-giec-nouvelle-alerte-face-au-rechauffement-du-climat / Retour au texte
2- https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/12/16/total-en-ouganda-premiere-victoire-des-ong-dans-leur-proces-contre-la-multinationale_6106292_3212.html / Retour au texte
3- https://www.jeuneafrique.com/1335714/politique/mali-larmee-et-wagner-accuses-davoir-commis-un-massacre-a-moura/ / Retour au texte
4- https://www.marianne.net/societe/police-et-justice/qui-est-remy-daillet-le-complotiste-suspecte-davoir-fomente-un-coup-detat / Retour au texte
5- Voir notre article ici même :lapandemiedesfauxprophetes.html / Retour au texte
6- Voir l'article ici même :lesultra.html / Retour au texte
7- Du nom de l’étude publiée en 1999 par David Dunning et Justin Kruger, psychologues américains, analysant l’effet d’un biais cognitif. Elle pose le principe que les personnes incompétentes se surestiment tandis que les plus compétentes se sous-estiment. Les conclusions ont toutefois été discutées, en particulier concernant l’environnement culturel des personnes testées. Les japonais seraient ainsi moins soumis à cet effet que les américains. La consultation des moteurs de recherche sur internet viendrait par ailleurs renforcer cet effet. / Retour au texte
8- KLEIN, Etienne, Le Goût du Vrai, tract N°17, Paris, Gallimard, 2020 / Retour au texte
9- Voir ici :questionsdecologie2.html / Retour au texte
10- KLEIN, Etienne, op. cit., p. 29 / Retour au texte
11- KLEIN, Etienne, op. cit., p. 56 / Retour au texte