Accueil
Après l'accueil par Monseigneur Rougé, évêque de Nanterre, Boutros Hallaq prend la parole au nom de l'équipe animatrice.
La seule pensée qui me vient à propos de Michel est une reprise de François d’Assise : Laudato Si… pour notre frère Michel ! Loué sois-tu pour cet homme prêtre, plein d’humanité, de cœur, d’intelligence et de spiritualité virile ; un témoin tout d’incandescence et de fragilité, cheminant sur La Voie à la rencontre de tout homme. Quelle grâce de l’avoir mis sur notre route !
Quand Michel, hospitalisé d’urgence à Bligny, a appris qu’il n’avait plus que quelques jours ou quelques semaines à vivre, il a accueilli cette nouvelle sans peur, sans lyrisme, sans piétisme ou paroles qui se seraient voulues édifiantes. Simplement, avec sérieux et simplicité, comme un événement qui faisait partie de sa vie. C’est dans ce cadre que Michel a donné des instructions à Christine pour cette célébration. Il a ajouté : « C’est bête ce que je vais dire, mais je voudrais bien y être à cette célébration ! »
Alors, Michel, que Dieu t’accorde la grâce – et à nous aussi – qu’il en soit mystérieusement ainsi !
À la demande de Michel, une étole tissée par les femmes de l'association " Mes-tissages " (la Maison Islamo Chrétienne) est déposée sur son cercueil.
Liturgie de la Parole
Lecture du livre de la Sagesse (7,1...4-16)
Choisie par l'équipe animatrice, lue par Christine Royer-Robert, présidente de l'association.
Moi aussi, je suis un mortel, pareil à tous, descendant du premier homme façonné à partir de la terre ; au ventre d’une mère, j’ai été sculpté dans la chair. J’ai été élevé dans les langes, et parmi les soucis. En fait, aucun roi n’a connu d’autre début dans l’existence : pour tout être humain, il n’y a qu’une façon d’entrer dans la vie, et une seule d’en sortir.
Aussi j’ai prié, et le discernement m’a été donné. J’ai supplié, et l’esprit de la Sagesse est venu en moi. Je l’ai préférée aux trônes et aux sceptres ; à côté d’elle, j’ai tenu pour rien la richesse ; je ne l’ai pas comparée à la pierre la plus précieuse ; tout l’or du monde auprès d’elle n’est qu’un peu de sable, et, en face d’elle, l’argent sera regardé comme de la boue. Plus que la santé et la beauté, je l’ai aimée ; je l’ai choisie de préférence à la lumière, parce que sa clarté ne s’éteint pas. Tous les biens me sont venus avec elle et, par ses mains, une richesse incalculable. Je me suis réjoui de tous ces biens, les sachant gouvernés par la Sagesse ; j’ignorais pourtant qu’elle en était aussi la mère.
Ce que j’ai appris sans calcul, je le partage sans réserve, je ne veux rien dissimuler de ses richesses : la Sagesse est pour les hommes un trésor inépuisable, ceux qui l’acquièrent gagnent l’amitié de Dieu, car les bienfaits de l’éducation les recommandent auprès de lui. Que Dieu m’accorde de parler comme je comprends, et de concevoir une pensée à la mesure de ses dons, puisque lui-même guide la Sagesse et dirige les sages ; car nous sommes dans sa main : nous-mêmes, nos paroles, toute notre intelligence et notre savoir-faire.
Lecture de l’Évangile selon Saint Matthieu (6,1-6.16-18)
Choisi par Michel.
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer. Sinon, il n’y a pas de récompense pour vous auprès de votre Père qui est aux cieux.
Ainsi, quand tu fais l’aumône, ne fais pas sonner la trompette devant toi, comme les hypocrites qui se donnent en spectacle dans les synagogues et dans les rues, pour obtenir la gloire qui vient des hommes. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.
Et quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites : ils aiment à se tenir debout dans les synagogues et aux carrefours pour bien se montrer aux hommes quand ils prient. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu pries, retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra.
Et quand vous jeûnez, ne prenez pas un air abattu, comme les hypocrites : ils prennent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent. Amen, je vous le déclare : ceux-là ont reçu leur récompense. Mais toi, quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage ; ainsi, ton jeûne ne sera pas connu des hommes, mais seulement de ton Père qui est présent au plus secret ; ton Père qui voit au plus secret te le rendra. »
Homélie
Michel, sachant que ses jours étaient comptés, a dicté une lettre pour Monseigneur Rougé. Il demandait que Christine Fontaine assure l'homélie. Cela lui fut accordé sans difficulté.
Le trésor que Michel nous lègue
Quand Michel a demandé que soit proclamé ce passage d’Évangile il savait sa fin prochaine. Il était pleinement conscient de ce qu’il faisait et disait. Comme je m’étonnais de ce choix, il ne m’a pas fourni d’explication. Nous pouvons simplement dire aujourd’hui qu’en nous transmettant ce texte il nous livre son plus précieux trésor en me chargeant d’en fournir une interprétation. Ce que je vais tenter de faire… à mes risques et périls !
Dans cet évangile Jésus ne s’adresse pas aux foules mais à ses disciples : « En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples. » Et il leur parle de religion : l’aumône, la prière et le jeûne sont des actes que tout bon juif est censé poser. C’est donc d’abord de religion que Michel désire parler aux croyants parmi nous, ou plutôt d’une certaine manière de vivre notre propre religion.
À ses disciples, Jésus précise :
- Quand tu fais l’aumône ne fait pas sonner de la trompette comme les hypocrites…
- Quand vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites : ils aiment à se tenir debout dans les synagogues… pour bien montrer qu’ils prient…
- Quand vous jeûnez, ne prenez pas un air abattu, comme les hypocrites…
L’hypocrisie est la chose la mieux partagée parmi les puissants de ce monde. Cependant ce n’est pas de cette hypocrisie-là dont l’Évangile nous parle mais de celle attachée aux religions, en l’occurrence à la religion chrétienne. La dernière volonté de Michel, en nous livrant ce texte, est donc de combattre jusqu’au bout l’hypocrisie dans notre propre religion et de nous mettre en garde contre elle.
Que vive l’Église !
L’hypocrite, en christianisme, veut nous faire croire qu’en le suivant on obéit à Dieu alors que son désir caché est qu’on lui obéisse. L’hypocrite prétend servir Dieu alors qu’il se sert de Dieu pour affirmer son propre pouvoir sur les autres, pouvoir d’autant plus redoutable qu’il se prétend sacré. Ce qu’il y a de très dangereux chez un hypocrite – un vrai – c’est qu’en général il est irréprochable. Il prie, jeûne, fait l’aumône, pratique toutes les vertus et, s’il est savant, est incollable sur les dogmes et sur le Droit Canon, ce qui en soi n’est pas un mal. Il est même capable de se reconnaître pécheur parce que, quand même, c’est de bon ton en christianisme. Il dit et fait tout juste mais il a tout faux : il lui manque ce poids d’humanité qui lui permettrait d’accueillir l’autre, non comme un supérieur accueille un inférieur, mais comme on s’accueille entre frères.
L’hypocrite dit et fait tout juste mais ça sonne faux. Il prononce des paroles vraies mais il chante faux parce qu’il n’a pas appris à chanter à l’unisson et que sa voix écrase celle des autres. « Ce que vous faites pour devenir des justes, évitez de l’accomplir devant les hommes pour vous faire remarquer », dit Jésus. « Devenir des justes », c’est apprendre à chanter seulement sa partie, à la chanter pleinement et sans jamais écraser celle des autres. Avec Michel, on chantait juste. Il avait ce poids d’humanité, qui le rendait à la fois vulnérable et fort. Fort pour lutter contre toute prise de pouvoir des uns sur les autres au sein de l’Église. Fort pour combattre le pouvoir de l’Église sur la société quand elle prétend, trop souvent encore aux dires de Michel, posséder la Vérité et imposer sa morale. Fort mais aussi vulnérable. Vulnérable aux coups reçus en retour et dont son corps fut marqué jusqu’à lui couper le souffle bien avant le dernier. Michel, en nous donnant cet évangile comme ultime parole, a voulu léguer - aux croyants parmi nous - son immense désir que vive cette Église. Une Église qui n’est pas constitué d’inférieurs et de supérieurs. Une Église dont la place de Dieu doit demeurer vide, c’est-à-dire pleine d’un Amour immense qui nous dépasse tous. Une Église de frères puisque Dieu seul en est le chef d’orchestre !
Que vive l’humanité !
C’est dans le Dieu de Jésus-Christ que Michel a puisé sa force jour après jour. C’est, pour les croyants, la force même de Dieu qui s’accomplissait dans sa faiblesse et qui lui a permis de « mener, comme le dit Saint Paul, le bon combat jusqu’au bout ». Mais dans ce combat, qui pour Michel s’incarnait dans le désir d’un monde plus juste, il a rencontré de nombreux alliés qui ne sont pas chrétiens. « Plutôt que de nous faire la guerre entre musulmans et chrétiens ou de chercher à nous convertir, si nous décidions de travailler ensemble – au nom de notre Dieu – au service d’un monde plus juste ? », lui déclara Saad Abssi. Comment Michel n’aurait-il pas été d’emblée partie prenante de ce dépassement de la particularité religieuse de chacun dans une lutte commune pour une société plus juste et plus fraternelle ? Comment ne se serait-il pas reconnu le frère de tous ceux qui, d’une autre religion, agnostiques ou athées, font cause commune pour une société plus solidaire ? Combien de fois n’avons-nous pas entendu Michel dire à un ami musulman, athée ou agnostique : « Je suis bien plus proche de toi que de certains chrétiens ! »
Pour Michel, Dieu passe là où les murs de l’indifférence, de la haine et du mépris sont brisés. Dieu passe, par-delà nos appartenances différentes, là où la communication fonctionne en vérité au sein de l’humanité. Qu’on reconnaisse le travail de Dieu dans ce passage ou qu’on ne le reconnaisse pas, l’important pour Michel était que les murs soient brisés. C’est ce désir de combattre l’injustice sans hypocrisie, par-delà nos particularités, que Michel veut nous léguer.
Que vive Dieu dès maintenant !
Michel, quels que soient les murs dans lesquels nous nous enfermons et que tu as voulu briser, il en est un sur lequel nous venons tous buter : c’est celui de notre mort. Par quel miracle as-tu su accueillir ta propre mort charnelle comme une « sœur à qui nul être vivant ne saurait échapper », comme le chantait François d’Assise ? Tu es passé par la mort, de la vie à la Vie en paix et en douceur ! Quel magnifique cadeau pour nous !
Cependant nous ne pouvons pas nous en contenter car cela nous tournerait seulement vers le passé. Or c’est maintenant que nous avons besoin de toi mystérieusement mais concrètement sur cette terre. Tu ne croyais pas en un autre monde auquel on aurait accès après la mort. Tu ne croyais pas en un autre temps qu’on appelle l’éternité. Tu croyais à l’Autre du monde et à l’Autre du temps qui nous dépassent mais ont partie liée avec le monde et le temps de cette terre. « En ce temps-là ! » Ce sont les premiers mots de cet évangile. Michel, nous comptons sur toi pour nous permettre de vivre avec toi « en ce temps-là ». Nous voulons continuer avec toi à chanter juste… l’Autre du monde, « Dieu maintenant », sur cette terre !