Témoignage de Mohammed Benali
Mohammed est l’un des trois cofondateurs, avec Saad Abssi, de « La Maison islamo chrétienne ». Saad est trop fatigué pour être physiquement parmi nous. Mais Mohammed est aussi – et peut-être d’abord – celui qui fut (et qui demeure) confié par son propre père à Michel. Mohammed, ayant été retenu au Maroc par une grève de l'aviation, son propre témoignage est resté inédit. Il a demandé à Aouatif, son épouse, de lire celui de la mosquée de Gennevilliers dont il est Président.
Témoignage inédit de Mohammed Benali
Le premier souvenir que j’aimerais vous confier sur Michel est une demande que mon père lui a adressée il y a de très nombreuses années. Michel a été invité plusieurs fois dans ma famille à Oujda. Lors de l’un de ces séjours, mon père lui dit : « Mohammed est mon fils aîné, plus cher à mon cœur que la prunelle de mes yeux. Je suis inquiet de le savoir en France loin de nous. Promets-moi que tu prendras soin de lui comme de ton propre fils. » Michel a promis et la promesse de Michel de s’est jamais démentie.
Bien avant cette promesse faite à mon père, quand je suis arrivé en France, je ne connaissais pas les chrétiens. Je pensais que l’islam était la meilleure des religions et qu’il fallait essayer de convertir les autres. Cette conversion représentait pour moi le plus grand bien que l’on puisse proposer à quelqu’un. Lorsque j’ai connu Michel, j’ai découvert qu’il était aussi attaché au christianisme que moi à l’islam. Cependant il n’a jamais tenté de me convertir. J’ai compris que je ne le respecterais pas comme il me respectais si je tentais qu’il devienne musulman. Nous avons des religions différentes et j’ai appris avec Michel à respecter ces différences. Nous avons un même Dieu qui dépasse nos religions et nous commande de vivre en Paix et dans le respect des uns et des autres.
Au Maroc, j’avais fait un cycle complet d’études islamiques. Je ne connaissais les chrétiens que de loin. Je pensais que c’était par ignorance de l’islam qu’ils ne se convertissaient pas à ma propre religion. J’ai découvert que Michel avait beaucoup étudié l’islam et qu’il le connaissait pratiquement autant que moi. Il avait aussi le comportement d’un vrai musulman. Il était profondément honnête dans sa démarche intellectuelle. Il pratiquait l’hospitalité à l’égard de tous, et aidait son prochain. Il n’y avait jamais de médisance en sa bouche mais il pratiquait un engagement de chaque instant pour que chacun trouve sa place dans la société. Il avait tout pour devenir un bon musulman mais il préférait demeurer chrétien. Michel m’a permis d’opérer une vraie conversion du regard que je porte sur les autres. A partir de cette expérience, j’ai pu accueillir un non musulman en considérant que les vues de Dieu dépassent de très loin les idées que nous nous faisons les uns sur les autres…
J’ai connu Michel alors que j’étais étudiant dans une école de gestion à Paris et que j’étais responsable de la mosquée du vieux port à Gennevilliers. Il y avait alors à Gennevilliers cette seule mosquée très loin du centre-ville et dont les murs sentaient la moisissure. Des salles de prières fleurissaient un peu partout dans des caves ou des arrière-boutiques. La situation favorisait toutes les déviations et tous les extrémismes. Michel m’a encouragé à regarder la situation en face et à forger le projet d’une grande mosquée facile d’accès et digne des musulmans. Cette mosquée « En Nour » fonctionne depuis plusieurs années mais à chaque étape de l’élaboration du projet puis de la construction, je savais pouvoir faire appel à Michel. J’ai toujours senti son appui et je peux dire aujourd’hui que c’est en grande partie grâce à lui que cette mosquée existe aujourd’hui. Michel, était quelqu’un à qui je pouvais faire appel en toutes circonstances et sur qui je pouvais compter quoi qu’il arrive.
C’est par Michel que j’ai connu Saad Abssi, un ancien dirigeant du FLN qui habitait Gennevilliers. Saad, contrairement à moi, avait toujours travaillé avec des chrétiens en particulier ave les prêtres de la Mission de France de Gennevilliers. Ils l’avaient accueilli pendant la guerre d’Algérie. Dans les années 90, tous les trois, nous avons fondé l’une des premières associations islamo chrétiennes : Approches 92 qui est devenue par la suite Mes-Tissages et La Maison Islamo Chrétienne. J’en fus le premier président. Dans ce cadre, nous avons organisé de nombreux débats publics mais aussi nous faisions face à des situations souvent dramatiques : manque de logement, arrestations arbitraires, démarches pour obtenir la régularisation de sans-papiers. Michel a été de tous les combats. Il faisait jouer toutes ses relations comme si la personne qu’on lui adressait était pour lui unique au monde. C’est ainsi qu’il est devenu non seulement l’ami mais le frère de nombre de musulmans.
Mais il y a eu aussi les hospitalisations de Michel. J’étais toujours l’un des premiers à accourir lors de ses très nombreux séjours à l’hôpital. Mes trop nombreuses occupations comme père de quatre enfants avec Aouatif ma femme, mon engagement professionnel à temps plein et souvent en province, ma responsabilité comme Président de la mosquée de Gennevilliers, tout cela passait au second plan quand la vie de Michel était en danger. Cancer du côlon, pneumopathie gravissime, attaque cérébrale, Michel a beaucoup connu en matière de maladie. Mais il s’est toujours relevé au point que nous nous étions habitués à ses résurrections. Dès qu’il allait un peu mieux, il se remettait au travail toujours content des forces qui lui restaient et qui lui permettaient de travailler intellectuellement, d’écrire, de recevoir des amis. Michel est pour moi la puissance de la vie, la joie de vivre jusqu’au bout. Il affirmait encore, quelques jours avant sa mort : « Je n’ai jamais été aussi heureux qu’aujourd’hui. » Une nouvelle maladie l’a emporté en quelques jours. Ce fut pour moi un choc profond et ça le demeure. Mais Michel m’est toujours très présent aujourd’hui. Il est le cadeau que Dieu m’a fait et dont je lui suis pour toujours très profondément reconnaissant. Michel est pour moi en même temps un père, un frère et l’un de mes plus proches amis. Merci à Dieu, merci à toi, Michel !
Témoignage de la mosquée de Gennevilliers
Nous rendons hommage à un frère, à un homme d’une très grande humanité. Humanité au sens de l’ouverture aux autres, aux hommes et aux femmes, quelle que soit leur origine, leur foi ou leur absence de foi. Je ne vous l’apprends pas, c’est, entre autres, ce que nous apprécions très fortement chez Michel JONDOT. De même nous apprécions son écoute, ses apports aux discussions, sa défense du dialogue comme sa grande préoccupation pour l’aide solidaire en général et aux plus démunis.
Tous ceux et celles qui l’ont rencontré connaissent aussi son esprit chaleureux qui se mêlait aussi à sa révolte devant les injustices, les mesures indignes contre les hommes et les femmes de cette planète comme devant chaque humiliation que peut subir un proche comme un inconnu. Il avait aussi un regard important et préoccupé en direction des différentes générations. Il savait aussi laisser les autres prendre toute leur place comme il aimait citer le travail, les actes concrets des autres. Il repérait les signes d’espoir sans masquer les difficultés.
Nous avons dit sa défense du dialogue. Elle a fait de lui un véritable passeur, passeur de valeurs humaines, passeur de l’acte solidaire, passeur du respect de chacun et de chacune. Un grand passeur de la dignité humaine ! Il est une grande et belle personne puisque ce que nous héritons de lui, nous fait grandir.
Témoignage de Patrice Leclerc
Patrice est l’actuel maire communiste de Gennevilliers. Il n’est pas croyant. Mais c’est avant tout l’ami. Michel et Patrice partageaient l’un et l’autre ce même désir et ce même combat pour une société plus juste et fraternelle, ce même humour aussi qui les rendaient profondément complices. Pour Michel, Patrice est l’un de ceux dont on peut dire en toute vérité qu’il n’est pas de ces hypocrites dont la société foisonne. De ceux qui veulent accéder au pouvoir par goût personnel tout en prétendant servir les autres. Entre Michel et Patrice, il y avait ce même désir du service totalement gratuit en faveur d’abord des plus démunis c’est-à-dire sans exercer sur eux un quelconque paternalisme.
Comme tout le monde ici, je suis triste. Triste d’avoir perdu un ami. Triste d’avoir perdu le frère d’espérance, celui avec qui la dispute était fraternelle, celui qui se trouvait là quand on avait besoin de lui, celui qui aimait réfléchir, partager, comprendre, mais aussi agir.
Je suis triste, car j’ai le sentiment d’être passé à côté de tant de richesses humaines car je regrette de ne pas avoir pris plus de temps avec Michel, pour l’écouter, savoir d’où il vient, connaitre mieux son histoire, sa perception de la vie, mieux appréhender son épaisseur humaine, plus partager de moments de fraternité.
Michel c’était aussi un quatuor pour moi, difficile de le dissocier de Christine Fontaine, Saad Abssi et Mohamed Benali. Un quatuor fait d’amour, de volonté de partage, de courage devant l’adversité, de franchise dans les débats, de persévérance pour unir. Ils et elle chantent la beauté de la vie en permanence.
Ils et elle étaient des obstinés du vivre ensemble et de la connaissance partagée. L’association Islamo-chrétienne, qu’ils animent, est un espace de dialogue, de réflexion, mais aussi d’action commune. Michel a plus que mené à bien sa mission de délégué diocésain pour les relations avec l'islam dans les Hauts-de-Seine.
C’est lui avec Christine, Saad, Mohamed qui demandait rendez-vous au maire de Gennevilliers pour plaider la cause d’un carré musulman, puis quelques années plus tard d’une mosquée. C’est eux qui ont obtenu satisfaction, c’est eux qui invitaient à des débats publics à Malakoff ou Gennevilliers sur la place des religions dans la société française, sur des confrontations d’idées entre religieux et athées,… C’est eux qui faisaient le pari de l’intelligence collective, avec leur foi, avec leur raison, avec leur modestie mais aussi leur assurance, chacune et chacun, d’avoir le cœur ouvert sur le bon Dieu.
Le 11 mai dernier, Michel m’a envoyé un courriel pour me demander la contribution de l’athée de service que je suis pour répondre à la question « quel regard un non-croyant porte-t-il sur ceux qui se réfèrent à Dieu ? »
Je lui ai envoyé un texte auquel il a répondu avec ces mots :
« Je partage beaucoup de tes convictions aussi bien en ce qui concerne la vie de société (la marchandisation et l'équivalence, par exemple) que ta vision métaphysique ("C'est l'absence de l'autre qui fait souffrir" ...).
Tu fais une citation de Kant à laquelle fait écho un théologien que j'aime bien, Guy Lafon : " Tous les dieux peut-être se valent mais l'amour que j'ai pour le mien est sans prix. " Les discours chrétiens sur la grâce ou la gratuité rejoignent peut-être certaines intuitions marxistes. (Mais je fais peut-être de la récupération en disant cela)
Cher " camarade ", je te redis ma fraternelle amitié »
Je ne pensais pas être aussi vite rattrapé par ma réponse à la demande de ce texte que m’a fait Michel. J’écrivais entre autres ceci :
« Pour moi, la mort n’existe pas. Il n’y a que la vie qui existe. La mort n’est que l’absence de vie. C’est un fait naturel qui permet l’évolution. J’ai peur de la mort des autres, pas de la mienne. C’est l’absence de l’autre qui fait souffrir. »
J’ajoutais aussi :
« Je plaisante souvent avec le Père Hervé Rouxel à Gennevilliers, en soulevant une injustice : si j’ai raison sur l’absence de Dieu et d’un au-delà après la mort, je ne pourrai pas le lui faire remarquer. Si c’est lui qui a raison, il pourra me charrier ! »
En ce moment, Michel, tu sais, ou pas, si ta croyance est fondée.
Nous, nous savons, et nous en sommes sûrs, ta vie est fondée sur des mots et des actes justes. Ta vie a été utile. Ton amour pour ton prochain a été une règle de vie. Nous n’aurons pas assez de mots pour t’en remercier.
Oui Michel, ta mort nous fait souffrir. Ton absence est un drame, un manque,…
Tu nous laisse un chemin, une conduite, une volonté de dialogue et de refus des injustices.
Permets-moi de faire de la récupération : Adieu camarade !
Texte de Michel Jondot
Mon Eglise, cette vieille qui fait pitié
Michel a écrit ce texte il y a seulement quelques semaines pour « Dieu maintenant ». Ce n’est pas lui qui a demandé qu'il soit lu aujourd’hui mais l’équipe animatrice. Elle désire que soient entendues les peines aussi bien que les joies que Michel a exprimées lui-même et qu’il a vécues dans un esprit de grande liberté parce que de grande fidélité à l’Église. Nous précisons que ce que Michel, dans ce texte, dit de la hiérarchie ne concerne pas Mgr Rougé, ici présent, qui n’est évêque de Nanterre que depuis peu de temps. C’est Michel Poirier, notre doyen, qui en fait la lecture.
Je ne puis m’empêcher, depuis plusieurs semaines, de me rappeler un texte dont j’avais entendu parler dans ma jeunesse ; il s’agit d’une œuvre très ancienne se situant à la charnière des temps. Après la mort des derniers témoins de l’aventure évangélique, en effet, naissait une Eglise d’un type nouveau, plus institutionnalisé, avec des Pasteurs, Evêques et prêtres pour veiller au troupeau. Le Pasteur : tel est le titre d’un ouvrage attribué à un certain Hermas qui fut peut-être un disciple de Paul. L’auteur parle d’une vision ; en songe l’Eglise lui serait apparue comme une vieille femme ridée et avec des cheveux blancs. Cette femme à l’aspect misérable était pourtant vêtue de vêtements éblouissants. Devant elle, Hermas était invité à se convertir et, au fur-et-à mesure de sa conversion, la vision qu’il avait de cette femme se modifiait. Progressivement, tout en gardant rides et cheveux blancs, elle retrouvait sa jeunesse, jusqu’à devenir semblable à une jeune fiancée au jour de ses épousailles.
Je suis prêtre depuis 1961. J’ai connu tous les visages possibles de l’Eglise. J’ai eu la chance d’arriver au ministère à une époque où l’Eglise sortait d’une période sombre et retrouvait son lustre ; on disait d’elle qu’elle vivait son « aggiornamento », sa mise à jour et son retour au jour. Ils étaient loin les temps où les Prélats, par peur, se courbaient devant les puissants. On cessait de condamner les prêtres qui, pour rejoindre ceux qu’on appelait « les prolétaires », partageaient la difficile condition ouvrière. On était invité non à défendre les intérêts d’une institution vénérable mais, au contraire, à ne pas en rester prisonniers. On chantait, en ce temps-là, « Allez-vous-en sur les places et sur les parvis » : il devenait bon de partager « les joies et les peines des hommes de ce temps », de cesser de se tenir à l’écart des Juifs, des musulmans et de tous ceux qui, suivant leur conscience, marchaient dans des voies où, jusqu’alors, il était interdit de les rejoindre. En Amérique latine, par exemple, les évêques allaient bientôt changer de regard. La conférence épiscopale (CELAM) cessait d'être au service d'une classe privilégiée et décidait de se donner en priorité au service des plus pauvres. L'archevêque de Récif, Dom Helder Camara, quittait son palais épiscopal pour aller loger au milieu des bidonvilles.
Grâce aux tâches qui m’ont été confiées j'ai enseigné dans des séminaires, j’ai connu des frères et des sœurs avec qui je me suis mis au service de communautés dans des collèges et lycées ou en paroisse. J’ai vu des enfants grandir, des jeunes entrer dans la vie adulte. Je me suis réjoui en voyant s’épanouir leurs amours et en célébrant leurs unions. J’ai partagé les soucis, les peines, les deuils de beaucoup. J’ai été au cœur d’une société sans me mettre à l’abri de son histoire : sans l’Eglise aurais-je connu l’islam de France, comme cela m’a été donné de le vivre ? Dans ce monde musulman j’ai découvert des amis, j’ai trouvé des frères ; j’ai souffert avec eux du mépris qu’il leur faut essuyer et j’ai été témoin de la misère des banlieues.
Certes, j’ai connu bien des satisfactions au cours de cette vie très humaine ; mais elles se sont accompagnées de déceptions qui n’ont cessé de croître au fur-et-à-mesure que j’avançais en âge. En entrant dans le ministère, j’avais beaucoup d’amis devenus prêtres en même temps que moi. Les meilleurs d’entre eux ont quitté l’Eglise et le clergé que j’ai côtoyé ensuite m’a parfois fait souffrir ; j’ai eu à vivre avec des prêtres médiocres, jaloux, alcooliques, arrivistes et quelquefois schizophrènes. Je me souviens d’un confrère qui, ayant embrassé l’islam en secret, faisait fonction d’imam dans une salle de prière le vendredi soir avant d’aller, le lendemain, confesser et célébrer l’Eucharistie dans une paroisse de la région parisienne. J’avais averti l’autorité diocésaine qui, loin de m’entendre, a préféré conforter ce prêtre dans ses fonctions presbytérales. Il n’est pas toujours facile de se faire entendre d’un évêque ; j’en ai fait la douloureuse expérience à l’issue d’un ministère en paroisse ! Je l’ai vu prendre des décisions qui ont démoli des laïques dont la générosité et l’intelligence, pourtant, appelaient de la reconnaissance. J’ai beaucoup ri lorsque j’ai reçu de mon évêque, voici quelques années, une lettre de deux pages dactylographiées m’adressant de vifs reproches. Il avait eu connaissance d’un texte où j’avais cité un théologien du siècle dernier, le père de Montcheuil, qui distinguait la hiérarchie des clercs et celle des saints. « Vous voulez écraser la hiérarchie ! » m’écrivait-il indigné.
Ces temps derniers, les scandales dans l’Eglise, à propos de la pédophilie, ont profondément blessé bien des amis dont j’entends et partage la souffrance. On ne déplore pas seulement la situation des victimes mais le fonctionnement d’une Eglise préférant se taire plutôt que de défendre ceux ou celles qui ont été douloureusement offensés. Le comble est atteint, ce mardi 5 mars, lorsqu’on voit le reportage d’Arte sur les violences sexuelles que des prêtres ont fait subir à des religieuses ; on les a abusées en se servant de raisons spirituelles pour les prendre au piège d’une sexualité dépravée. Corruptio optimi pessima ! Il n’est pire corruption que celle qui touche ce qu’il y a de meilleur.
Certains me diront peut-être que j’ai gâché ma vie en me mettant au service d’une institution corrompue. La parabole du Pasteur d’Hermas me permet de répondre. Cette femme mystérieuse dont il y est question invite à la conversion. Celle-ci s’impose à tous les croyants et pas seulement aux prêtres et aux évêques. Je suis persuadé que, dans la cohérence chrétienne, il n’y a pas d’un côté les justes et de l’autre les pécheurs. « Le péché, nous sommes tous dedans, les uns pour en jouir, les autres pour en souffrir mais en fin de compte c’est le même pain que nous mangeons au bord de la même fontaine, le même dégoût » (Bernanos). Parce que nous croyons au salut nous affirmons qu’en nous reconnaissant solidaires les uns des autres, nous sommes enveloppés dans la même tendresse qui nous vient par Jésus. Par ailleurs la femme dont parle le Pasteur d’Hermas ne se réduit pas à ses rides et ses cheveux blancs. Ses vêtements sont éblouissants. Malgré sa laideur elle est promise à la beauté. Je crois qu’au milieu des noirceurs qui recouvrent l’Eglise, la lumière du Christ continue à se manifester ; ouvrons les yeux pour la discerner. Pour ne m’en tenir qu’à ma seule expérience je la reconnais dans la fraternité que j’ai trouvée en elle et qui me permet de vivre mes dernières années dans la paix. Je la reconnais aussi dans la fidélité, la qualité évangélique et humaine de bien des prêtres qui m'entourent. Par ailleurs, plusieurs confrères que j’ai connus au séminaire ont opté pour l’Eglise d’Algérie et pas seulement Christian de Chergé ; je reste en contact avec eux et il m’arrive d’être témoin d’une générosité et d’une humilité qui m’émeuvent.
Le Pasteur d’Hermas enfin m’évite de succomber à la tentation de l’inquiétude en ce qui concerne celle pour qui, en fin de compte, j’aurai consacré une grande partie de ma vie. A peine sortait-elle de l’époque des apôtres que l’Eglise, semble-t-il, avait déjà un visage défraîchi et pourtant, vingt siècles après, je la retrouve encore vivante et, peut-être, mystérieusement promise à une nouvelle jeunesse.
Michel Jondot