Rainer,
Sans titre, Surillustration de la Bible, 1998
(in A.R., La Bible Illustrations Surillustrations, éditions Cantz, 2000, n° 118, p. 266. (collection Musée Burda, Baden Baden )
Le peintre viennois Arnulf Rainer (né en 1929) fut dans les années 1950 et 1960 un actionniste violent, voire iconoclaste, qui « surpeignait » notamment ses œuvres en les recouvrant d’une couche de peinture qui cachait la composition première. La commande par le clergé allemand d’une bible illustrée dans les années 2000 lui donna l’occasion de travailler à partir de photographies d’œuvres religieuses. Il intervint sur ces images patrimoniales en les recouvrant de lignes et de couleurs qui transformaient et revitalisaient les œuvres originaires. Ses inventions picturales lui valurent en 2004 le doctorat honoris causa de Théologie décerné par la Faculté de théologie catholique de Münster.
« Regarde-le qui te regarde »
Traversé par une violente coulure rouge et bleue, ce visage du Christ nous dévisage avec ses yeux empreints de douceur et d’humilité. Un corps, une tête plutôt, transpercée par la violence radicale de cette intervention picturale qui la fragmente en deux parties. Le cadrage en gros plan fait que nous ne pouvons échapper à ces yeux qui nous regardent comme nous les regardons. « Regarde-le qui te regarde », disait Thérèse d’Avila. C’est aujourd’hui, en ce vendredi saint, que notre Dieu est mort. L’office de la Passion, le seul dans l’année où le prêtre ne consacre pas le pain et le vin, commémore ce jour exceptionnel de la mort, physique, réelle et non symbolique, de Jésus, vrai dieu et vrai homme. Cette surillusrtation La mort, cœur renversé, corps étouffé. Inspirer, expirer, tel est l’impulsion de notre vie, dans un échange incessant avec le monde qui nous entoure. La mort arrête brutalement ce flux, ce rythme. Mais ce visage qui semble venir de si loin, où l’on croit reconnaitre telle ou telle peinture du Moyen Age ou de la Renaissance sans pouvoir en identifier aucune ne cesse de s’adresser à nous. La blessure centrale de l’œuvre réactive, avec un dynamisme sans pareil, l’énergie même de ces yeux qui condensent toute une vie, toute une humanité.
Nous rêvons d’un univers dans lequel la violence n’existerait pas. Nous voudrions tant devenir nous-mêmes imperméables à la souffrance, voire immortels. Dans ce même esprit, nous imaginons souvent que la toute-puissance de Dieu soit sans limite, sans passion – au sens d’émotion et de souffrance. Au centre du Triduum pascal, l’office de la Passion du Vendredi saint, le seul, l’unique, de l’année où le prêtre ne consacre ni le pain ni le vin, rappelle comme un fait brutal auquel nous ne pouvons échapper, l’absence de Jésus, la mort de Dieu. La fragilité essentielle de notre existence, dont la finitude se fracasse aux limites du monde, voilà ce qu’Arnulf Rainer donne ici à contempler. Et au creux de cette image blessée, sourd la tendresse, l’humanité surhumaine d’un regard venu d’au-delà de la souffrance, et qui nous touche, nous bouleverse.
Au rythme ordinaire du souffle de la vie - Inspire, Expire qu’on pourrait dire aussi Vis puis Meurs - Arnulf Rainer décide d’ajouter, par la couleur et la violence qui fend l’image, une voix nouvelle qui murmure, Inspire, expire, espère !
Paul-Louis Rinuy