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Semaine Sainte 2021

Jeudi Saint
André Derain
La Cène
Texte de Paul-Louis Rinuy

Vendredi Saint
Kazimir Malévitch
Suprématisme mystique
Texte de Paul-Louis Rinuy

Dimanche de Pâques
École de Novgorod
Anastasis
Texte de Paul-Louis Rinuy

Jeudi Saint

André Derain
La Cène



André Derain
La cène
huile sur toile, 1911, Art Institute of Chicago

Après avoir été un des inventeurs avec Matisse et Vlaminck du Fauvisme en 1905, Derain est ensuite revenu à une peinture figurative classique, trop sage a-t-on souvent pensé. Et pourtant c’est en lui que Giacometti voit, au lendemain de sa mort en 1954, le peintre contemporain le plus « audacieux », celui qui lui a le plus appris.

Ce tableau de 1911, qui traite une scène bien connue de la peinture religieuse chrétienne, mais rarement peinte au début du XXe siècle, peut expliquer cette admiration sans borne.

Le sujet en est aisément reconnaissable. Les douze disciples entourent Jésus représenté en majesté au centre de la toile, le disciple préféré Jean s’appuyant sur son épaule. Aux figures et aux corps sombres des apôtres, peints dans des couleurs de terre ou froides comme le bleu, s’oppose le blanc de la nappe et du vêtement du Christ qui dessinent, en croisant l’horizontale et la verticale, les lignes d’une croix. La simplicité et la force structurelle de cette composition s’ajoutent à la géométrisation des figures et au hiératisme de l’ensemble pour donner à la toile une évidente tonalité sacrée. Nul besoin d’auréole au-dessus des visages, ou d’attributs particuliers pour sacraliser ce lieu où le Christ institue l’eucharistie. Le lys situé au cœur de l’œuvre, dans l’axe même du corps de Jésus, rappelle sans doute l’Annonciation et donne à cette scène très masculine une sensualité et une grâce marquantes.

On ne sait rien de précis sur cette œuvre, ni sa date qui varie selon les différents experts de 1907 à 1913, ni les circonstances de sa réalisation. On sait uniquement que le marchand Kahnweiler ne l’acheta pas, à la différence de bien d’autres tableaux de Derain, et que Paul Guillaume, qui l’exposa en 1918, la jugeait « invendable ». Peut-être reprochait-on à Derain de tenter de donner un sens nouveau à une histoire bien ancienne, sans imposer avec éclat ou violence son propre message. Au silence d’un Jésus statique dont on ne voit même pas le geste des mains s’ajoute son étrange absence de regard, qui met presque mal à l’aise. Ce Christ sans yeux, sans expression, tout comme les visages intérieurs des disciples font écho au silence de Dieu, ce silence qui irradie dans le mystère de Pâques jusqu’à la Résurrection et qui se retrouve dans nos vies quotidiennes, dans notre histoire contemporaine. Que voit Dieu de nos vies, et qu’en dit-il surtout ? Pourquoi reste-t-il silencieux devant la mort de Jésus, devant les tragédies de notre temps ?

Dépourvue de toute rhétorique, d’effet plastique tape à l’œil, cette peinture religieuse devient presque une nature morte sans histoire, un tableau archaïque ou anachronique dans la course aux nouveautés avant-gardistes qui structure le XXe siècle. Chef d’œuvre mécompris de son temps ou bizarre invention ? On ne sait que juger.

Sans doute est-ce dans ce suspens même que réside la véritable audace de Derain : nous faire perdre pied, nous dépouiller de nos certitudes, nous placer face au silence de Dieu, qui n’est pas son absence.

Paul-Louis Rinuy