Il y va de l’Evangile de Marc comme d’une symphonie de Mozart ou de Beethoven : un mélomane saura la réentendre même s’il la connaît par cœur.
Une grande œuvre littéraire ne tient pas seulement aux lettres qui la composent mais à la manière dont on répond à son invitation. Le mot
« Evangile » signifie « Bonne Nouvelle » ; il cesse d’être Evangile si nous ne croyons pas qu’il peut apporter de la nouveauté et du bonheur.
Il demeure alors « lettre morte », autrement dit « l’Esprit » l’a déserté. La manière de lire, en réalité, est à inventer sans cesse.
« Dieu maintenant » vous invite au voyage et au courage ; il vous propose de traverser ce texte fondateur pour les chrétiens. Il ne s’agit pas d’y découvrir des
idées nouvelles mais d’abord de rejoindre la lettre. Celle-ci, certes, est morte sans l’Esprit ; il n’en reste pas moins que l’Esprit est loin s’il ne rejoint pas
la lettre. Essayons d’entrer dans le chemin que la lettre trace pour y avancer pas à pas. « Dieu maintenant » a essayé de vous faciliter la tâche en se lançant
à votre place dans un travail technique préalable. Ceux qui le souhaiteraient pourraient en prendre connaissance en lisant les annexes :
Annexe (préalable à la lecture).
Pour aride qu’il puisse paraître, ce travail n’est pas dépourvu de poésie. Il s’inspire de Paul Claudel. Celui-ci raconte qu’au cours d’une marche dans une campagne
japonaise, son regard sur le paysage changea brusquement lorsqu’il remarqua l’alignement d’un érable et d’un pin. La beauté de la nature qui l’environnait ne venait
pas, il le constatait brutalement, des éléments dispersés qui l’environnaient mais des rapports que ceux-ci entretenaient entre eux. De cette expérience, le poète en
venait à élaborer ce qu’il appelle « un art poétique de l’univers ». Le monde n’avait plus à être compris comme un enchaînement de causes et d’effets mais comme la
découverte de la conjonction et de la simultanéité de deux réalités différentes : « Je comprends que chaque chose ne subsiste pas sur elle seule mais dans un rapport
infini avec toutes les autres ».
Cette façon poétique de voir l’univers peut s’appliquer à l’histoire. Celle-ci n’est pas un enchaînement d’évènements partant d’un point de départ et s’acheminant vers
un terme : « Vous me racontez Waterloo, vous m’expliquez la carte, vous me dites la rencontre de Wellington et de Blücher : et en effet il y a un lien entre ces notions.
Or, je vois Waterloo ; et là-bas dans l’Océan Indien, je vois en même temps un pêcheur de perles dont la tête soudain crève l’eau près de son catamaran. Et il y a aussi
un lien entre ces deux faits. Tous les deux écrivent la même heure, tous les deux sont des fleurons commandés par le même dessin ». Qu’est-ce que ce fameux sens de
l’histoire qui a préoccupé nos aînés au siècle précédent ? Un enchaînement de causes et d’effets qui conduisent vers un terme ? Mais pourquoi privilégier, dans les
liens entre les faits, tels ou tels événements ? Aucun ne prend sens en lui-même, c’est vrai. Mais pourquoi privilégier certains liens par rapport à d’autres ?
L’immensité des faits humains compose un ensemble inextricable qu’il est sans doute impossible de dénouer mais qu’il serait fou de nier.
Ces réflexions de Claudel (« Art poétique – Connaissance du temps III » PP 143-145) invitent à penser que le sens d’un texte, fût-il un texte sacré,
n’est pas sans
analogie avec le sens de l’histoire ou celui de l’univers. Un texte, pour ne pas sombrer dans le non-sens, est un ensemble de mots et de phrases qu’enchaîne une
syntaxe composée de principales commandant, de façon stricte, des propositions qui lui sont subordonnées. Mais elle est aussi un jeu de renvoi des mots ou des phrases,
les uns aux autres, que chaque poète a le génie d’inventer ou que chaque lecteur a l’art de découvrir avec le même bonheur étonné que Claudel devant l’alignement d’un
érable et d’un pin. Ce travail sur St Marc est une tentative pour entrer dans le sens de l’Evangile sans se soucier d’un sens préfabriqué qui y serait contenu comme
un bijou dans un écrin ou qu’on ne pourrait aborder qu’en possédant les clés dont disposent grammairiens, exégètes, historiens ou théologiens. Nous entrons dans le
texte avec la curiosité du poète dans les paysages du Japon, à la recherche de correspondances entre les mots et les phrases pour pénétrer de façon nouvelle dans un
livre où le croyant a « la faiblesse de croire », - comme dit Michel de Certeau - que le parcours du sens le conduit au salut.
Tout comme les faits qui tissent l’histoire, tout comme les éléments qui composent l’univers, un texte tel que celui de St Marc est un véritable maquis où il ne serait
pas possible de se repérer si nous n’organisions pas nos déplacements à l’intérieur des chapitres. On peut imaginer que si le poète, dans sa marche au Japon à laquelle
nous avons fait allusion, avait voulu entrer dans le détail des correspondances dont il avait l’intuition, il aurait fait appel à un arpenteur pour délimiter les terrains
à l’intérieur desquelles se déplacer et trouver les angles de vue les plus révélateurs.
C’est à un travail de ce genre que nous nous sommes livrés. Nous sommes partis du fait que l’Evangile, comme tout texte, n’est pas composé seulement de mots articulés
les uns sur les autres ni de phrases qui forment des paragraphes. Il est aussi un ensemble de fragments distincts et, comme les mots eux-mêmes, articulés les uns
sur les autres. Entre ces unités on repère des correspondances et un jeu : les découvrir change le regard, donne à penser et permet de poser un acte de croire neuf.
A l’exemple de l’arpenteur, nous nous sommes efforcés de trouver des limites à partir desquelles baliser les différents terrains sur lesquels nous tentons de nous
aventurer. On trouve, si on le désire, la façon dont nous avons mené ce travail. Dans un premier temps, on propose de saisir ces corrélations à partir de trois ensembles
qu’il nous semble raisonnable de considérer comme des avenues principales encadrant différents quartiers. L’ensemble de l’Evangile, si nous nous fions au travail auquel
nous nous sommes livrés, est composé de cinq blocs.
Arrêtons-nous d’abord sur les trois premiers ensembles :
- les trois avenues : Marc 1,1 à 1,13 / 8,27 à 9,8 / 15,33 à 16,8).
Ils en encadrent deux autres :
- le versant "proclamer" (kerussô) : Marc 1,14 à 8,26
- le versant "croire" (pisteuô) : Marc 9,9 à 15,32.
Il se trouve que ce texte raconte une histoire. On connaît, à la suite de certains travaux linguistiques, à quelles règles obéit un récit. Un texte considéré comme révélé
échappe-t-il aux règles du langage commun ? On essaiera de vérifier.
Ce parcours permet, du moins nous le souhaitons, d’entrer dans la lettre d’un
signifiant où chaque croyant reconnaît, à travers les écrits de Marc dont la tradition nous dit qu’il fut disciple de Pierre, l’appel d’un Autre. On pourra, d’ailleurs,
au fur et à mesure de la lecture, se demander « Qu’est-ce que croire ? ». Si la manière de lire qu’on y découvre ne répète pas les leçons apprises, n’en concluons pas
que le chemin proposé s’écarte de la foi traditionnelle. Les traces du message de Jésus s’effacent s’ils n’ouvrent pas sans cesse sur la nouveauté. Ils sont en réalité
« Commencement » pour chaque lecteur et pour chaque nouvelle lecture : « Commencement de la Bonne Nouvelle ».
Suite : "Trois avenues à parcourir"